Photo bouleversante, dans ce face-à-face, deux destins se croisent. Qu’il s’agisse de l’homme ou de la bête, tous deux cherchent à survivre dans un environnement particulièrement hostile où la loi du plus fort impose son absurde et implacable et inacceptable logique. En effet, dans ces régions d’Afrique ravagées par les sécheresses, les famines et les guerres, continuellement déstabilisées par le fanatisme des uns et l’impéritie des autres, il semble qu’il faille attendre encore longtemps avant que des États de droit, légitimes et solidaires, n’aient les moyens et la volonté de mettre un terme à des situations aussi dramatiques. De manière saisissante, il revint un jour au photographe Kevin Carter d’oser dénoncer, à sa manière, l’impuissance et l’aveuglement des hommes de pouvoir, tout comme les conséquences de leur cynisme sur les populations.
Philippe Parrot
En hommage, aussi, à Kevin Carter, décédé quelques mois après avoir pris ce cliché.
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Poème 3 : L’aigle et l’enfant
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Observe avec effroi,
L’air altier,
Le regard froid
De l’oiseau carnassier !
Découvre avec stupeur
La fin tragique,
L’attente du heurt
De l’enfant cachectique !
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Ainsi en va-t-il — sort effroyable —
Des êtres en déshérence qui errent !
Ils se perdent au milieu des sables
Comme des larmes dans la mer.
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Broyés par les lois et forces de l’univers
En marche, ils partent loin de leur village
Avant de sombrer dans l’oubli, faits divers
Que nos mémoires chassent sans ambages.
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D’un calme comminatoire
Il patiente. Héraut martial
Des guerres dans l’Histoire
Il se campe, l’air impérial…
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À scruter sa posture
Raide et souveraine,
Tendue vers sa proie,
Il a vraiment l’allure
D’une statue romaine
Ouvrant seule la voie :
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Des chemins de l’au-delà, cruels
À la chair, indifférents au cœur.
Tueur émérite, il gère ses duels,
Le bec acéré, en glacial passeur.
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Il extrait des cadavres,
Des membres désossés,
Les viandes nourricières
Pour voler vers son havre
Où gaver une avide couvée
Nichée sur un pic et fière…
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Mort, nourris cette vie cannibale ! Voilà
Le cycle millénaire que nos esprits abhorrent !
À marcher sur un fil, il nous oblige à vivre, ici-bas,
Des bonheurs éphémères, trop souvent sans remords.
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La fillette va s’éteindre
Pour qu’il puisse briller.
Toute maigre, nue et crue,
Elle attend, sans le craindre,
Que l’herbe s’abreuve, exténuée,
Des pintes de son sang, répandues !
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Quelle frêle charpente, elle, si jeune encore !
À la voir couchée, on dirait un vaisseau
Démâté et brisé, échoué sur la grève.
Une figure de proue, sur tribord,
Posée sur le sol dur et chaud,
Briseuse de nos rêves !
* * * *
Belle innocente, damnée, tu as vécu l’enfer,
Et pire j’en suis sûr, à fuir guerres et famines
Dans des marches forcées au travers du désert,
Vaincue par le soleil et la soif. Pauvre gamine !
À errer sur les pistes, elle s’avère précaire cette pause
Dernière… Ton corps épuisé, à terre, s’est lové, pareil
À un fœtus dans le ventre de sa mère. Si fragile chose
Prête à sombrer sous l’objectif dans l’ultime sommeil !
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Repose en paix, perle noire ! Sans te connaître,
Nos pensées t’enveloppent dans un linceul blanc
Qui réchauffera ton âme errante, libérée du désir.
Ta silhouette famélique va heurter tout notre être
Car tu marques au fer rouge, sans faux-semblant,
Nos consciences futiles, trop en quête de plaisirs.
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Mais toi, hautain rapace, qui ne tues pas pour jouir, terrasser
Ou te venger, que ta condition soit autre ! Il serait déplaisant
Que tu la dévoras en vain. Plane encore longtemps au milieu
Des nuages, l’œil perçant le vol majestueux, ivre de traverser
Les cieux d’Afrique. Traque et achève les fauves agonisants !
Voilà ta tâche et ta peine : vis pour expier ton crime odieux !
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Tu portes dans tes flancs, au sein de l’Éther, les chairs
D’une Martyre. Elle te permettra de survivre… Garde-la
Au secret, au fond de tes chaudes entrailles ! À te suivre,
À trôner dans l’azur telle une Reine, à flotter dans les airs,
Elle rassure, magnanime, nos cœurs de Sujets, lâches et las,
Et guide nos destins vers la voie du Pardon. Qui seul délivre.
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Poème écrit par Philippe Parrot,
Le 10 janvier 2012
Et modifié le 14 août 2024.
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Cette photo a été prise par Kevin Carter. Elle montre une scène poignante : un vautour observe une fillette en train de mourir de faim, au sud du Soudan, recroquevillée sur le sol, luttant pour atteindre un centre de distribution de nourriture pendant la famine au Soudan en 1993.
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