Montluçon ! Une ville jadis industrieuse ; à cette heure sinistrée… Une avenue de Néris autrefois ; une avenue John Fitzgerald Kennedy aujourd’hui… Un cinéma Rex à « La rivière sans retour » dans les années soixante ; une Banque Populaire aux guichets rutilants dans les années 2000… Une maison au numéro 14, en retrait, avec un muret sur le devant surmonté d’une grille et flanqué d’une porte de fer, impressionnante aux yeux d’un gamin ; une devanture de magasin si sale et décrépit au regard d’un senior…
Et puis, le reste, oui, tout le reste, l’essentiel de vies désormais enfouies là, tout à l’ouest, en alignement, mais aussi l’essentiel de ma vie, là, sur les avenues, dans les rues, au milieu de la cour du château, tout au long d’une voie de chemin de fer désaffectée, au gré des pérégrinations d’un sexagénaire en visite et si heureux de l’être si vous saviez, son âme contre lui, tout contre…
Philippe Parrot
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Poème 5 : Une terre d’asile et de repos
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Là-bas, dans une terre aride, protégée par la nuit
Épaisse et froide et glauque ; au centre d’un drôle d’îlot
Partagé avec d’autres installés près de lui, à l’écart des bruits,
Un silence pesant, plombé par le Passé, s’est substitué aux maux.
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Au fond — incognito — dans un coin retiré comme un havre de paix,
En appui sur le sol couvert de gravillons, à la blancheur arctique,
Se dresse, imposante, l’ombre tutélaire d’un homme condamné
À finir détesté, obsédé par la chair, insensible aux critiques.
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C’est vrai qu’il a uni, par des moyens scabreux, plaisirs et travail,
Passions et devoirs, avec la conviction des êtres déterminés,
Constamment sur la brèche, de conquêtes en batailles,
Jouisseurs impénitents, travailleurs acharnés.
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De lui, me reste un souvenir qui réchauffe mon cœur et me glace l’esprit
À chaque fois qu’il survient, pareil au jet fumant d’un geyser islandais
Qui rougirait mes joues quand mes pieds dans la neige seraient pris
Par le froid : la venue espérée du visiteur si rare, déserteur exilé !
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En patriarche déchu, feignant sans doute d’y croire, à ce fol espoir
D’amour qu’il a lui-même détruit, sur le quai anonyme d’une gare
Provinciale, déserte et oubliée, il vient à la rencontre d’un membre
De l’ancien clan. Malgré ses trahisons, il tente d’incarner l’illusoire
Figure du chef d’une famille aujourd’hui dispersée. Mais trop tard.
Pourtant le voilà ! Il descend du wagon par un soir de septembre !
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Dos au soleil couchant, dans l’axe de la voie, ordonnateur à l’horizon
De lueurs chatoyantes, il marche d’un pas lourd, les épaules voûtées,
La démarche chaloupée. Il ressemble au marin, en escale, qui tangue
Sur la terre ferme, perdu loin des abysses… Il a peur d’aviver à raison
Des rancunes, à débarquer au milieu d’une fratrie, pétrie de préjugés,
Hostile et revancharde… Lequel, le premier, arrachera cette gangue ?
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Empêchés par trop de non-dits, leur mutisme a conduit à l’impasse.
Pourrait-il le haïr ou pire le juger ? La cruelle hypothèse empoisonne
Sa conscience et il craint l’entrevue, souvent reportée. Quant à l’autre,
Ému et frissonnant, autant que lui sans doute, il est pris dans la nasse,
Incapable de penser et surtout d’entreprendre. Car, en échos résonnent
Les violents griefs de l’enfance lorsqu’il finit par trahir une mère, la nôtre.
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Aveuglé par son trouble, il demeure interdit, quand l’arrivant l’étreint.
Quel geste d’affection dûment inconcevable ! Fallait-il qu’il s’en veuille
Pour s’exposer ainsi et le prendre dans ses bras ? Gagné par les pleurs,
Il se lâche soudain et l’enlace à son tour. Deux voyageurs près du train,
Différents par leur âge, se donnent l’accolade. De quoi font-ils le deuil ?
Que veulent-ils racheter, censurés par leur âme ? D’égoïstes bonheurs !
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Leur virile embrassade, muette et soutenue, témoigne d’un étrange pacte
Où l’omerta sous-tend leurs retrouvailles. Hélas ! Panseront-ils leurs plaies,
Oublieront-ils leurs fautes dans l’étreinte ? Cette preuve d’amour en un acte,
Sur le tard obtenue, scellera la trop brève union de deux hommes imparfaits.
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Cette affaire de sang sombrera dans l’oubli dès lors que mourront les acteurs…
D’ici-là, aux yeux de ces derniers, tes choix t’ont damné sans espoir de pardon.
Tu resteras l’épicurien lâcheur que tu choisis d’être quand tu partis sur l’heure.
Même si, pour l’un, tu demeures un modèle. À bannir ou à suivre ? C’est selon.
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Si tu travaillas durant des décennies pour asseoir ton statut et nourrir les tiens,
Tu t’entêtas, aussi, à « posséder » les femmes qui tombaient sous ton charme.
Enfin, tu osas nous quitter pour celle qui te retenait par d’obscurs lourds liens.
Aujourd’hui, au fond d’une urne, tu nous laisses seuls sur la route, sans larme.
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Quant à toi, tu l’as trop empruntée en quête de tes maîtresses. À ne plus croire
En Dieu, t’as pactisé avec le Diable en brûlant dans ses flammes. Quel coup !
N’aie crainte néanmoins ! J’irai sur ta tombe oubliée, en pèlerinage un soir,
Pour échanger enfin avec toi, pressé de voir ton fantôme sortir du trou.
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Car il incarne, à jamais, « Le Pater Familias » de retour sur ses terres.
Cet homme que tu ne sus pas être, quoique tu le sois en droit : mon Père !
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P 5 – Une terre d’asile et de repos
Poème écrit par Philippe Parrot,
Le 3 février 2012
Et modifié le 28 août 2024.
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