Une page qui se tourne ! À l’occasion du passage-éclair de son fils aîné, parti poursuivre ses études loin de la maison familiale, un père se retrouve à discuter avec ses deux garçons, le plus jeune sur le point de quitter lui aussi le clan, son bac en poche.
Adolescent las d’un cursus scolaire qu’il a hâte d’achever et d’un milieu familial dont il voudrait se libérer, le cadet écoute son père et son frère. L’occasion pour tous trois de sentir avec émotion qu’ils vivent là un moment privilégié, marquant la fin d’une époque et le début d’une autre, porteuse d’espérances mais aussi d’angoisses.
Avec l’espoir que ces trois chemins différents, bientôt empruntés par chacun, ne conduisent pas à un affaiblissement des liens qui rattachaient jusqu’alors ces trois vies, si longtemps en osmose…
Une rue champenoise.
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Poème 8 : À deux sang pour sang
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Perdue au milieu des étoiles, elle tourne sur son axe, tout autour du soleil,
Avec, comme trajectoire, une orbite fidèle à la marche horlogère des vastes
Univers… Entouré de mers et d’océans, tributaire d’eux, un continent veille
Où rayonnent de grands États, à l’histoire jalonnée de guerres et de fastes…
Au cœur d’une région vallonnée, traversée par une paisible rivière, prospère
Une cité soûle de champagne… À deux pas d’une place, se tient une maison
Dans les combles desquels est aménagée une chambre, spacieuse et austère.
Assis près du bureau, sous un plafond pentu, il donne des conseils à foison…
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Écoutez ses paroles ! Entendez ses remarques ! Elles demeurent en suspens,
Pareilles aux traînées de poussière d’or dans un rai de lumière, et nourrissent
Leur questionnement de Jeunes. Aériennes, elles flottent dans d’obscurs pans
De la conscience d’un père vieillissant qui discute, ravi de parler avec ses fils.
Pour quelques temps encore sur les planches de la Vie ! Hélas, il sait. L’heure
Souvent redoutée où l’âme se détache d’un corps à la dérive, approche… Oui !
Quand il sera contraint, tôt ou tard, de quitter l’avant-scène, malgré leurs pleurs
Ce sera à leur tour d’assurer le spectacle, sous les feux de la rampe… Sans lui !
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Dans l’attente, sachez deviner ses sentiments derrière ses pensées, ineptes ou
Sensées, profondes ou puériles, puisées dans son expérience d’homme inquiet
De leur avenir, quoiqu’il ne doutât pas de leurs capacités : de singuliers atouts
En sommeil, cachés depuis toujours ! Graines semées dans vos cœurs choyés,
Germeront-elles en vous, tant désireux d’apprendre ? Vous devrez, à coup sûr,
Veiller sur elles afin qu’elles croissent à votre rythme, selon vos convenances,
Au gré de vos espoirs. Ainsi, peu à peu, deviendrez-vous deux hommes mûrs,
Liés à l’esprit et à la chair qui, dans un seul et même élan, pensent et dansent.
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Lors d’un échange centré sur lui, le cadet se lève pour prendre ses distances…
Adossé à la porte, mal à l’aise, il n’ose argumenter et écoute son frère, son aîné
De cinq ans, évoquer l’avenir quand il n’en voit aucun. C’est là leur différence.
Un pied dans la chambre, l’autre sur le palier, son attitude trahit l’esprit gêné
D’un garçon qui rêverait d’être « grand » sans quitter son enfance. Dilemme
D’un être tétanisé par le manque d’expérience. Sans repères, amis ou voies,
Il ne sait quoi faire pour entrevoir la vie. Il veut pourtant s’engager et, blême,
Afin de défendre ses idées, il ose prendre la parole et se libérer de leur poids.
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Le voilà donc qui s’explique ! La voix est poignante, exprimant tout à coup
Le désarroi qui l’oppresse. Déconcerté par son angoisse, frein au dialogue,
Son frère l’observe, à l’écoute, devinant peu à peu qu’il faudrait avant tout,
Pour apaiser chacun, renoncer à convaincre, sous peine de conflit. Épilogue
D’une adolescence cadrée, à s’être résolu à sacrifier sa passion d’enfance :
L’équitation, pour s’engager dans de longues études, il réalise, sans le dire,
Ce qu’il en coûte d’être adulte par le choix d’un cursus exigeant la patience.
Ce prix qu’il a payé, le cadet devra, lui aussi, l’accepter s’il veut s’accomplir.
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Au fil des années, parvenu à se donner les moyens de poursuivre le chemin
Qu’il a choisi, conscient de l’enjeu, l’aîné pèse le sens de chacun de ses mots
Et s’exprime posément. Dans ses propos, on sent qu’il n’oublie pas demain,
Pensant ses phrases pour ne pas le vexer, insistant seulement lorsqu’il faut.
Assis sur le bord d’une chaise, les coudes sur ses genoux, son menton calé,
Ses mains jointes, il porte sur son cadet un regard plein de retenue. Il devine
Qu’il suffirait d’un rien pour rompre l’entente. Sereinement, sans s’emballer,
Il l’invite à faire un choix, sûr que toute la famille suivrait même s’il chagrine.
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Leur père les dévisage, convaincu qu’il sera moins écouté que les paroles
D’un frère, certes peu présent mais aimé. En effet, un « paternel » ne jouit
D’aucun renom quand son rôle se réduit trop souvent à mettre des bémols.
Toujours contre la porte — le corps tendu — il est malheureux mais tout ouï.
Soudain, il tourne le visage, côté chambre, avant de le porter vers l’escalier,
Côté rue. Ah ! Les voilà donc tes pensées… Tu voudrais quitter ton univers,
Parents et lycée, pour te lancer. Qu’il est dur de franchir ce pas. Le premier !
Pour grandir à tes yeux comme aux leurs, tu devras te soucier d’être ouvert.
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Comme l’avait fait son aîné, il décidera de ses études. Angoissante direction
Qu’il pourrait refuser en allant à l’échec. Il est difficile de couper ses attaches
Pour aller conquérir le monde. Dans son antre, jusqu’à là protégé de l’action,
Ses tergiversations montrent qu’il ne peut tourner la page et se fixer la tâche
De se donner un destin. Hésitant, il bredouille quelques mots… Chacun le sent
Face, pour de trop bonnes raisons, à trop de choix possibles. Quand jaillissent
De ses yeux des larmes, il cesse de discuter. Son frère prend alors les devants,
Se lève et le serre fort dans ses bras… Ils sont là, émus de se sentir complices.
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Leur père reste en retrait de peur de les gêner quand ils le fixent… soudés.
Surprise ! Sans s’être concertés, ils lui ouvrent leurs bras pour l’accueillir
Contre eux. D’un bond, il les rejoint, bouleversé par leur vif désir de garder
Un lien. Il les plaque très longtemps contre sa poitrine. Jusqu’à en défaillir.
Enlacés dans une virile étreinte, leur cœur à l’unisson, le temps, sur l’heure,
S’arrête… Recueillis en eux-mêmes, submergés par des flots d’émotions, à
Fleur de peau, la nuit gagne la pièce lorsque la lune dépose sur eux sa lueur
Argentée. Leur silhouette entourée d’une laiteuse clarté n’est plus d’ici-bas.
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Sans intention charnelle, trois hommes s’étreignent. Leur touchante accolade
Témoigne d’un profond amour familial. Ils ne disent plus rien quand ils sentent
Qu’ils pleurent, quelques larmes coulant sur leurs joues. Malgré l’embrassade
Qui les laisse émus et sans voix, à entrevoir le Futur avec ses voies attirantes,
Leur père pressent que cette « grâce » finira et qu’aussitôt leur esprit retrouvé,
Ils s’en iront, demain ou plus tard, chercher le bonheur, sûrs d’être chanceux.
Bien qu’il soit dur de composer avec un avenir sans eux, à coup sûr éprouvé
Il accepte qu’ils doivent le quitter pour devenir, ailleurs, deux êtres heureux.
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Poème écrit par Philippe Parrot, le 13 mars 2012,
Modifié le 9 septembre 2024
Et dédié à Adrien et à Quentin, ses fils.
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