Touchants amants désireux de fuir un quotidien qui les étouffe, ils ne cessent de vouloir embarquer sur le premier navire venu, à destination d’une île accueillante et tranquille où ils feraient une halte : la dernière !
Baignée de soleil et d’eaux turquoises ; entourée de bancs de coraux ; bordée de sable fin et de cocotiers, d’un horizon sans fin, cette aire paradisiaque apparaît à l’imaginaire de leur candide amour comme une terre lointaine, inaccessible et minuscule. Lointaine, elle les invite à quitter au plus vite leur monde stérile et routinier ! Inaccessible, elle leur signifie qu’ils devront néanmoins affronter ouragans et tempêtes avant de l’atteindre ! Minuscule, elle leur fait enfin savoir que la conquérir sera chose facile, une fois pied à terre, offrant sans difficulté ce royaume à part entière qu’elle est.
Ne reste donc plus qu’à partir ! Alors, aussi rêveurs et enthousiastes qu’eux, suivons-les tout au long de leur incongru périple…
Philippe Parrot
Extrait du film « A la dérive » de Guy Ritchie avec Madonna
* * * *
Poème 23 : Notre île bleue
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J’aimerais débarquer un jour d’été, reposé,
Les voiles de la frégate poussées par l’alizé,
À l’exquise douceur, caressante sur ta joue.
Une main au bastingage, debout à la proue,
De l’autre, retenus par la taille, nos regards
Se perdraient dans le ciel limpide, hagards.
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Le navire tout blanc à la coque de bois irait
Droit devant en tanguant avec force, attiré
Par les vagues aux embruns jaillissants qui
Éclabousseraient tes si beaux yeux conquis.
Élégant, il arborerait ses vergues fièrement
Avec leur voilure en leur plein déploiement.
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Tout autour de la hune, là-haut dans le vent,
Une flopée de mouettes au corps tournoyant,
Criardes et combatives, s’agacerait avec peu.
L’une d’elles, téméraire et lasse de leurs jeux,
Quitterait cette mêlée pour aller vers l’avant,
Et répondre à nos rires par des cris virulents.
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Nos esprits exaltés, nos deux cœurs emportés,
Et toujours enlacés, par l’air vif marin hébétés,
Pour éviter de chuter, nous nous accroupirions
À deux pas de l’oiseau, courageux et champion,
Venu conquérir le pont. Crâneur mais balourd !
Général piailleur, tu rirais de son comique tour.
* * * *
Le voilier parcourrait des miles à filer sur la mer
Avec, en fringant capitaine, notre amour si cher.
Il veillerait, sans cesse, à conforter nos âmes
En quête de la halte rêvée qu’elles réclament :
Un monde ignoré, en plein océan, où pouvoir
Accoster. Une île où nous n’aurions nul devoir.
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Un matin coloré comme une aurore boréale,
Éblouis par les vifs rayons d’un soleil royal
Dont l’arc émergerait de la crête des flots,
Logés dans un hamac, à rire de nos mots,
Nous humerions, soudain, l’odeur ténue
Et délicate, d’un parfum de terres. En vue.
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Toi, la première, de suite debout, tu exulterais :
Voilà notre atoll enchanteur, longtemps espéré !
Vois à l’horizon la frange de ses vertes collines.
Elles nous fêtent. Ce soir je me perdrai, mutine,
À courir nue dans la nature, laquelle déploiera
Un luxuriant décor de verdure qui me plaira !
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Je te prendrais la main et, rieurs, nous courrons,
Haletants, sur des plages où nous dénicherons
Bientôt des criques où s’aimer dans le silence.
Jusqu’au moment où je quitterais notre anse
Pour t’inciter à me suivre dans la végétation,
Vers un coin retiré où nous unir avec passion.
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Ainsi parlerais-tu, pleine d’émoi, quand soudain
Dans un jaillissement d’écumes deux dauphins
S’élanceraient hors de l’eau, joyeux exécuteurs
D’un saut, avant de replonger de leur hauteur.
Avec des gloussements, à croire qu’ils en rient,
Ils colleraient à l’étrave pour suivre le cap pris.
* * * *
Près de la côte nous jetterions l’ancre, escortés
Par nos amis quand je t’entendrais m’exhorter :
Sabordons notre brick ; ôtons tous nos habits !
Puis, nos esprits délivrés, dans un élan subit,
Jetons-nous dans l’eau, au milieu des coraux !
Nous irons vers l’île, poussés par les rouleaux.
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Ton visage radieux m’envoûterait ; ton sourire
Espiègle me ravirait. Comment te contredire
Quand tu te dévêtirais, embrasant tous mes
Sens. Médusé et prêt à dire : « Oui ! Mais… »,
Tu m’ouvrirais tant les bras que je tremblerais.
Pressé de t’étreindre, vite je me déshabillerais.
* * * *
Voilà combien de jours, de mois, d’ans, ma foi
— nos repères d’autrefois disparus — que toi
Et moi ne vivons que pour nos seules envies,
Sur cet îlot de bonheurs, de lumières et de vie ?
Nos êtres libérés des tâches et devoirs de jadis,
Nos journées s’écoulent avec lenteur et délice.
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Que le Temps passe ! Peu importe. Qu’il glisse
Entre nos mains, soit ! Qu’il sache qu’on tisse
Cependant, malgré Lui, les liens d’une idylle,
Nouée de tant de fils avec nos mains habiles
Qu’on L’oublie. À ne privilégier que nos élans,
Ne comptent que l’instant, nos baisers ardents.
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Nous aimons chaque matin, collés l’un à l’autre,
Nus et insouciants, longer cette baie : la nôtre,
Où nous posâmes — jadis — pied pour porter
Le regard au milieu du lagon. Là-bas, à portée,
Émerge l’extrémité des mâts avec leur fanion.
Preuve de notre clipper coulé avec exultation !
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Ce rituel, en l’honneur d’un destin rarissime,
Augure des plaisirs et des joies, même infimes,
Que nous volons. Dans le respect de nous deux,
À ne rien exiger de toi et de moi, trop heureux,
Nous apprécions notre chance d’être ensemble.
Oh ! Tant de fragiles bonheurs que j’en tremble.
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Voilà notre existence en ce paradis, par chance
Qu’aucune carte indique. Â l’aube, avec aisance,
Nous plongeons au milieu des récifs de coraux,
Aux multiples et vives couleurs, rejoindre, trop
Contents, deux squatters dans l’épave dortoir :
Nos dauphins ! Bien agrippés à leur nageoire,
.
Ils nous conduisent loin, en haute mer. Malgré
Le froid et la peur, nous voguons, de bon gré,
Vers l’Inconnu. Éblouis par le soleil, au milieu
Des vagues, bien que le voyage soit périlleux,
Grisés par l’air, près l’un de l’autre et encadrés
Par eux deux, nous oublions nos craintes. Prêts
.
Même à nous noyer dans les flots sans adieux.
Avant le soir, ils nous ramènent, respectueux,
Dès qu’ils veulent, près du cap où nous vivons,
Menés par le goût des folies que nous cultivons
Et par la même envie de vivre sans trop penser,
Occupés à tirer de l’instant des plaisirs nuancés.
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De retour au lagon, nos membres endoloris,
Nos yeux larmoyants, à chaque fois surpris
Par la force régénératrice des rais du soleil,
Nos visages s’éclairent. Notre esprit en éveil,
Les pieds sur la terre ferme, nous savourons
Un exploit que, vite, nous recommencerons.
.
Sur le sable, nous sentons au creux des reins
Nos corps impatients de s’abandonner enfin.
À cet instant, sans jamais songer à les blâmer,
Nos chairs s’éveillent dans l’attente de s’aimer.
L’astre à son couchant approche l’heure douce
De la caresse de trop qui, à l’amour, pousse…
.
Nos peaux frissonnantes, nos envies vives,
Nous nous livrons à de fols ébats. Lascives
Voies, pourquoi faudrait-il avoir honte d’oser
Des gestes qui s’avèrent ne pas nous blaser ?
Aux ivresses de l’amour, nos êtres s’adonnent
Et, dans nos cœurs, nulle audace ne détonne.
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Nos chairs satisfaites, après une pause au pied
D’un palmier qui déploie ses feuilles sans ployer,
Nous marchons, avant la nuit, le long de sentes,
Vers une crête propice aux rêves. Dans l’attente
Que le soir enflamme le ciel de lueurs soudaines
Et que, face à la mer, nos âmes nous emmènent.
* * * *
Ainsi jouissons-nous du Présent où, dans nos yeux,
Se lit notre bonheur fondé sur un serment vertueux.
Quand l’un partira, l’autre le suivra ! Car, mon dieu,
À s’être tant aimés ici, nous resterons, là-bas, deux.
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Poème écrit par Philippe Parrot,
Commencé le 13 mai 2013,
Terminé le 1er juin 2013
Et modifié le 20 septembre 2024.
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