Pauline avait deux amis d’enfance, Charles et Romain, qui avaient toujours partagé avec elle ses loisirs, ses études, ses joies et ses peines. Sans que leur famille puisse expliquer pourquoi, ils étaient à ce point inséparables qu’aucun des trois ne pouvait se passer longtemps des deux autres quoique les deux garçons fussent très différents. Mais Pauline était le trait d’union qui les unissait par un lien plus fort que leurs antagonismes.

Charles était extraverti, brillant, charmeur, entreprenant, volontaire et tenace, menant toujours à bien les tâches qu’il se fixait. À l’inverse, Romain était introverti, timide, rêveur, incapable d’entreprendre quoi que ce soit, tétanisé par la peur et le doute à l’instant de s’engager dans une action. Du coup, son univers se réduisait à ses livres.

Bien qu’ils soient diamétralement opposés, Pauline était pourtant très liée à ces deux énergumènes. À chaque étape de sa vie, à chaque tournant de son existence, il fallait qu’ils soient à ses côtés car elle avaient besoin d’eux pour se sentir pleinement en capacité de faire un choix. Charles était fier de lui communiquer son énergie et son enthousiasme tandis qu’elle profitait de son esprit d’analyse et de son sens de l’organisation. Romain, quant à lui, était très malheureux, doutant constamment qu’il puisse apporter à Pauline quelque chose. En guise de soutien, il ne savait en effet lui offrir que sa simple présence, silencieuse et discrète, transcendée par la profondeur de son regard, ouvert sur l’esprit. Il en arrivait même ces derniers temps à se demander s’il ne fallait pas qu’il quitte ses amis, tant il avait honte de lui, se sentant inutile, sot et empoté face à Charles.

C’est ainsi qu’un soir, alors qu’ils finissaient de s’installer dans l’appartement qu’ils avaient pris en colocation pour suivre leurs études supérieures, Romain, confus et maladroit, réussit à parler en aparté avec Pauline et à lui poser cette question qui le taraudait depuis toujours et dont la réponse conditionnerait son avenir.

— Tu sais, Pauline, Charles sera bientôt un grand avocat du barreau et moi, un simple instituteur. Je me sens tellement petit et inexistant devant lui que je suis convaincu de ne rien t’apporter. Je ne suis qu’un boulet que tu traînes. Excuse-moi de te pomper l’air et de te pourrir la vie…

— Arrête de dire de telles inepties, rétorqua Pauline.

— Oh, tu sais, voilà longtemps que j’ai compris que je ne suis, dans notre trio, que la cinquième roue du carrosse, le faire-valoir de Charles et rien d’autre. Le passe-muraille que personne ne voit et qui te ridiculise. Car, par ma faute, on se moque de toi. Personne ne comprend qu’amie de Charles, tu puisses m’apprécier. En fait, mon comportement nuit à l’image que les autres se font de toi et j’en suis navré. Heureusement, tu as toujours souhaité conserver notre amitié. Mais, ne faut-il pas y mettre un terme puisque je ne te suis d’aucun intérêt ?

Pauline, touchée par son désarroi, répondit :

— Tiens, cesse de dire des âneries et va donc ouvrir ma malle. Je voudrais que tu vois ce qu’il y a dedans.

Romain l’ouvrit, effaré par le nombre de romans qu’il y avait.

— Tu sais qui m’a donné le goût de la lecture et ouvert des horizons que je n’aurais jamais connus sans lui ?

— Euh…

— Toi ! Maintenant, va voir dans l’armoire !

Romain l’entrebâilla et découvrit une guitare.

— Tu sais qui m’a donné le goût de la musique et l’envie de jouer d’un instrument ?

— Euh…

— Toi ! Maintenant regarde-moi droit dans les yeux ! Tu sais qui a su m’émouvoir jusqu’aux larmes par ses récits inventés de toutes pièces pour moi, rien que pour moi ?

— Euh…

— Toi ! Tu vois maintenant toutes les choses magnifiques que tu m’as permis de découvrir et qui ont fait de moi la femme que je suis aujourd’hui.

 Ému par cet aveu, Romain sentait un agréable sentiment de confiance le gagner, entrevoyant soudain qu’il n’était peut-être pas aussi insignifiant et inutile qu’il le croyait…

 — Tu sais, Romain, j’ai toujours pressenti, compte tenu de la personnalité de Charles, que les gens pouvaient considérer la tienne comme quelconque. Mais, avec le temps, j’ai appris à voir ce qu’il y a de meilleur en toi et à m’en imprégner. Que ce soit au collège ou au lycée, j’ai apprécié lire les livres que tu me conseillais et je m’en suis nourrie… Que ce soit dans ta maison ou dans la mienne, j’ai pris plaisir à t’écouter jouer de la guitare et aimé que tu m’en apprennes la technique… Enfin, dans quelque endroit que nous soyons, j’ai tant rêvé à t’écouter me raconter d’invraisemblables histoires… Pour tous ces bonheurs que tu m’as dispensés, c’est moi qui devrais m’excuser de ne pas t’avoir fait comprendre plus tôt combien tu m’es cher. Romain, mon tendre Romain, n’oublie jamais que ce que tu crois être des défauts qui te diminuent, des faiblesses qui te freinent, des tares qui t’entravent, c’est justement ce qui distingue des autres.  Charles m’aide à conquérir ma place dans ce monde, certes, mais toi, toi mon Romain, tu m’aides à y trouver du sens et de la beauté. Qui de vous est alors le plus important à mes yeux ? Aucun ! Car vous m’êtes tous les deux indispensables. Je ne peux vivre sans vous. En t’acceptant tel que tu es, tu m’as fait éprouver tant de profonds sentiments, tant d’indicibles émotions… Oui, j’ai puisé dans tes imperfections, dans tes failles, dans tes fragilités et, grâce à elles, j’ai appris à aimer les miennes et celle des autres. Accepte-toi tel que tu es, Romain, car personne ne te ressemble ici-bas. Tu es unique et c’est ta déconcertante réserve qui fait tout ton charme. Et qui fait que je suis attachée à toi tout autant qu’à Charles, même si c’est pour d’autres raisons. D’ailleurs, voilà que tu m’incites à dévoiler plus vite que prévu ce que je m’étais décidée à vous annoncer dans les jours prochains !

Pauline alla chercher Charles qui s’était isolé dans une pièce pour qu’ils puissent discuter à leur aise. Et, les prenant par la main, elle les conduisit dans sa chambre. Il y avait un très grand lit et c’est là – l’émotion dans la voix – qu’elle leur déclara sans la moindre possibilité de s’y opposer – non mais ! s’exclama-t-elle en riant et en feignant de taper du pied comme une gamine qui veut se faire entendre – qu’ils dormiraient désormais ensemble, dans ce coin douillet, unis enfin par la chair comme ils l’étaient depuis si longtemps par le cœur et l’esprit. De nouveau, Romain l’aidait à avancer par la délicatesse de ses doutes, confortant Pauline dans la certitude que l’heure était venue de consacrer leur union et leur amour.

 — Car vous savez, vous deux, je vous aime ! murmura-t-elle à leurs oreilles, en les enlaçant pour la première fois avec la fougue d’une amante.

Philippe Parrot

Texte écrit entre le vendredi 3 octobre 2014 et le lundi 6 octobre 2014.

 

Jules et Jim - François Truffaut 1962

Jules et Jim – Film de François Truffaut (1962)

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Jules et Jim – Le tourbillon de la vie – Film de François Truffaut avec Jeanne Moreau (1962)

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