« Aguirre, la colère de Dieu » est un film allemand réalisé par Werner Herzog et sorti sur les écrans en 1972. Il raconte l’incroyable odyssée, au 16ème siècle, d’un groupe de conquistadors – prêtre, soldats, gentilshommes – qui traverse la jungle péruvienne afin de découvrir l’Eldorado. Mais, suite à l’enlisement de la troupe dans des marais, une avant-garde commandée par Pedro de Ursua est constituée pour partir en reconnaissance. C’est au cours de ce périple que son second, Lope de Aguirre, brutal et mégalomane, fomente une mutinerie, tue les partisans de Ursua et fait nommer un nouveau chef, Fernando de Guzmans, avant de s’embarquer avec les hommes restants à bord d’un radeau pour descendre le fleuve, en quête de cette fameuse cité qui croulerait sous l’or… Ce film hypnotique, porté magistralement par l’halluciné Klaus Kinski dans le rôle de Aguirre, dresse un portrait au vitriol des gens de pouvoir, ambitieux et cupides, portés par des rêves de gloire qui les amèneront à sombrer dans la folie.

Toutefois, à l’image de ces aventuriers, ne sommes-nous pas, à l’occasion, portés par d’obsédantes chimères qui nous feraient presque entrevoir les portes de la déraison ?

Philippe Parrot

Aguirre

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*      *      *      *

Poème 83 : Aguirre

 .

Dans les indicibles profondeurs

De mes erratiques expériences,

Sevré des insoutenables odeurs,

Propres aux chaudes ambiances,

Qu’exhalent les corps dédouanés,

Libérés des amours et des haines,

Crucifiés sur la croix des damnés,

Rebelle, j’ai supporté mes peines.

 .

Marcheur obsédé par son avenir,

Dans des ténèbres, noirs écueils,

Brisé sous le poids des souvenirs,

Brûlant comme un soleil en deuil,

Au cours d’errances interminables,

Mon esprit a croisé des Merveilles,

Purifiées dans les flux inoubliables

Des menstrues de Vierges au réveil.

 .

Dans les boues nauséabondes de fleuves

Agités, charriant des cadavres putréfiés ;

Dans ce déferlement incessant d’épreuves

Nocives ; dans ces courants à vous terrifier

Avec leurs viles eaux du passé de ce monde,

J’ai tenté d’avancer, bête comme un cuistre,

Pour fuir les bras ensorceleurs d’immondes

Gorgones affublées de leur regard sinistre…

 .

Mais, avec l’été, le ciel limpide et ses azurs

Bleus ont soigné mes yeux que j’avais levés.

Mes pupilles ont discerné dans l’embrasure

De cumulus mutiques des hétaïres enlevées

Danser des gigues où froufroutait leur robe,

De gaze transparente, d’être ainsi ballottée…

J’ai passé avec elles des nuits sans être probe,

Hanté par leur voile qu’elles finirent par ôter.

 .

Plus duveteux que peau de pêche, j’ai mordu,

À pleines dents dans leur tendre derme moiré

Qu’elles offraient jour et nuit, toutes éperdues,

Aux pénétrants rayons cosmiques, ces bigarrés

Voyageurs, pourfendeurs de ces aires sidérales

Où virent des vaisseaux, destructeurs mandatés

Des astres complaisants… Trous noirs, ils râlent

Et s’écroulent sur eux-mêmes, avec quel doigté.

.

Dès lors, je n’ai cessé de boire le liquide tonique

Produit par leurs deux seins au fil des secondes.

Il métamorphosait les silhouettes, impudiques,

De ces fausses vierges en vraies mères fécondes

Initiatrices de nos fautes, en dispersant au vent

Le nectar sucré liqueur de toute joie adultérine,

Puisant dans cette boisson, troublante souvent,

La force de ne pas tolérer de jouer les figurines.

 .

Qu’ai-je ri à me soûler à ce lait, sans préambule,

Fermenté sur une galaxie aux lueurs spectrales,

Ravi d’admirer au passage l’armada de libellules

Géantes, aux ailes nervurées, s’abattre en spirale

Sur des morts effrayés pour dévorer leurs chairs

Dans un vrombissement d’énormes bombardiers

Destructeurs de ces cranes ouverts pour pas cher,

Remplis des vapeurs amères de leur amour radié.

*      *      *      *

D’être venus trop tard, pleurez donc pisse-froid !

Vous ne verrez plus, chaperonnés par votre Belle,

Des arcs-en-ciel versés leurs couleurs par charroi

Sur les crépuscules éphémères du merveilleux réel

Ou des aigles royaux leurs ailes déployées, à l’aube

S’accoupler avec de naïves colombes pour enfanter

De fées, ravies d’illuminer, vêtues de saintes aubes,

La scène très obscure de vos mondes désenchantés.

 .

Vous avez trop rêvé d’errer sur les versants abrupts,

Lors de nuits hivernales, de hauts cols inaccessibles,

À l’épaisse neige destinée à éblouir les yeux de brute

Des vils guerriers, ces égorgeurs vendus à l’Indicible.

Vous avez trop longtemps cru aux baisers nourriciers

De marâtres abusives, prêtes à vous sauver du péché,

Sans songer que les pieds fourchus des diables initiés

Botteraient avec plaisir leur cul pour les en empêcher.

 .

Vous avez trop trahi sous le masque de panthère noire,

Cachant vos infamies sous le cuir épais du féroce félin.

Et moi, poltron, j’ai fait pareil pour ne jamais déchoir,

Courant avec vous vers de lâches horizons. L’air malin,

J’ai suivi vos pas, sur la piste, pour aller droit m’enliser

Dans de putrides marais où nos viles âmes pourrissent,

Envasées dans les joncs, des hommes intrépides la risée,

Tenues de s’enfouir en quête de racines au fait des vices !

 .

Vous avez trop rampé le long de coulées de lave fumante

De volcans hawaïens, en pleines éruptions. Ils comblent

Avec leurs cendres des golfes, aux pures eaux dormantes,

Où des vaisseaux fantômes, dans leurs cales archicombles

De minotaures combattants, jettent une ancre sacrificielle

Avant de libérer ces monstres dévoreurs de chairs fraîches.

Avec leur corps d’homme, leur tête de taureau, démentielle

Soldatesque, ils débarqueront tous, profitant d’une brèche.

*      *      *      *

Sur les grèves rocailleuses de vos nuits cauchemardesques,

Ces enfers oniriques où des êtres cachectiques, en panique,

Dans des arbres géants étouffés par des lianes gigantesques

Vous déchiquettent, vous avez pratiqué un rite chamanique.

Il réveille des poissons d’or, aux écailles luisantes, aux ouïes

Sanguinolentes agitées fébrilement au gré de leurs instincts.

Ainsi pitoyables martyres vous ai-je vus souvent guère réjouis

Errer de mer en océan pour fuir ensemble notre banal destin !

 .

À vos côtés, au milieu de vos sanglots, mes larmes de crocodile

Se déversaient dans les lits de rivières à sec où s’entassaient dès

L’aube les carcasses de ces bêtes échappées de l’enfer immobile

D’une Arche de Noé… Je restais atterré, semblable aux farfadets

À genoux qu’épouvante la hache brandie vers les cieux écarlates

Avant qu’elle ne coupe les têtes de crapauds toujours trop salaces

Tandis que des oiseaux migrateurs transporteurs de sales blattes

Aux pattes sectionnées, volent haut pour éviter un jet de caillasse.

 .

Dégoûté par ce triste monde et mes lâches errements, j’ai souhaité

Un beau jour voguer vers des rives plus clémentes où chaque mort

Serait une princesse assoupie, sa chevelure agitée aux vents de l’été,

Chaque supplicié un amant amoureux d’une vénus aux pupilles d’or.

Poussé par la tempête vers des aires radieuses sans ire et sans éther,

J’ai pu m’agripper à ta dépouille flottant dans les airs et t’embrasser,

Tout en fumant des joints ouverts sur quelque part, là où les cratères

Ressemblent à des ornières où pousseraient mille plantes herbacées.

.

J’ai couru dans ces lieux, avec des ailes aux pieds, escorté longtemps

Par un vol de lucioles au ventre phosphorescent, d’un vert lumineux,

Et par de fiers uhlans, montés sur des licornes piquées par des taons

En ce mois de novembre où les premières neiges et leur effet ruineux

Faisaient disparaître les chemins picaresques, seuls à mener ailleurs.

Tout près de galaxies, aux confins de nos rêves, là où des îles satellites

Tournent autour d’archipels sidéraux, altiers et magnifiques veilleurs,

Dans l’abyssal infini de vastes mers astrales, cimetières de mégalithes.

 .

De retour au foyer, à devoir me plier au poids des habitudes, j’ai pleuré,

Tant le quotidien blafard, aux torpeurs révoltantes, embaume les cœurs

Séditieux, les plongeant dans de délirants sommeils, fief des demeurés.

Vaincu, dans le glauque crépuscule de mon corps moribond, sans heurt,

J’ai posé mes bagages accroupi dans un coin, privé de ces nobles amours

Portées dans leurs élans, comme les trois-mats en haute mer, par l’espoir

D’accoster un jour sur les rives de l’Autre. Seules dispensatrices alentour

D’un éclat enchanteur, aube des bonheurs simples vécus loin de la gloire !

.

fichier pdf P 83 – Aguirre

Poème écrit par Philippe Parrot

Commencé le mardi 10 mars 2015

Et terminé le dimanche 15 mars 2015

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