Lui fuit la guerre et ses combats ; elle fuit la guerre et ses horreurs. Lui n’en peut plus de tuer sans cesse des hommes ; elle n’en peut plus de pleurer sans arrêt ses morts. Fussent-ils du même côté, en butte au même ennemi, attachés aux mêmes valeurs, défenseurs de la même cause, tous deux ont atteint leur limite, cette frontière au-delà de laquelle ils sentent pouvoir perdre la raison et sombrer dans la folie, incapables de supporter davantage leur destin, le corps et l’esprit laminés.

Alors, sans s’être concertés faute de se connaître, les voilà qui errent dans la même ville dévastée, à la même heure incongrue, déambulant tous deux sans savoir où aller, le regard vide, ne sachant quoi faire pour échapper à cet enfer, sinon marcher et marcher encore jusqu’à ce qu’ils se croisent par le plus grand des hasards…

Philippe Parrot

Couple de Brassaï

Couple dans la nuit – Photo de Brassaï (1932)

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Le déserteur – Chanson de Boris Vian

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Poème 92 : Le déserteur

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J’y pense soudain en ce fatal instant. Qu’adviendra-t-il de toi,

Apparue par miracle, tout en larmes, désireuse sous un porche,

Saisissant ma main, tenaillée par la peur qui te laissait sans voix,

Que nous y trouvions refuge ? Ah ! Que nos mornes vies s’animent,

Un bref instant, pareilles à la vive flamme jaillissant d’une torche

Pour réchauffer nos cœurs, détachés des choses pusillanimes !

*      *      *      *

Déserteur traqué, je fuyais la Police Militaire par un soir de pluie,

Bête aux abois, longeant vitrines et façades d’une avenue, déserte,

Quand à l’autre bout je te vis approcher. T’en souviens-tu ? Minuit

Sonnait dans ce quartier dévasté par l’ennemi lorsque nos regards

Tristes, en quête d’humaines compassions, se sont croisés : certes,

Mais aussi reconnus au même désarroi, chacun perdu et hagard…

.

Le vent par rafales cinglait nos visages, en ce mois de novembre.

À devoir affronter ce temps calamiteux, nous cachions nos traits

Marqués par la dureté des combats, et même tous nos membres

Minés par le manque de nourriture, sous de vieilles cotonnades,

Volées à des cadavres laissés sur les trottoirs, à peine en retrait…

Oui ! rappelle-toi, nous allions dépités, vraiment dans la panade.

.

Tenaillés par la faim, laminés par la fatigue, usés par l’insomnie,

Dans la nuit sans étoile glaciale et venteuse, pour fuir la solitude,

Envahis par l’angoisse d’être pris de panique, la pire des avanies,

À ne plus croire en rien, en fait à la dérive, tous deux avions erré,

Dans la ville fantôme, entièrement rasée, las de nos inquiétudes,

Au bord de la folie à rester enfermés dans nos planques, atterrés.

*      *      *      *

Ah ! que j’y pense en cet ultime moment. Qu’adviendra-t-il de toi,

Ma muette inconnue dont l’âme anéantie par ces gens tous morts

Et l’esprit défait par le mal et l’horreur n’osait plus parler, ma foi ?

Trop de terrifiants souvenirs empêchaient sans doute ta mémoire

Horrifiée de confier à quiconque ton oppressante histoire. À tort !

Mais tu n’y pouvais rien, totalement brisée par de cruels déboires.

*      *      *      *

Voilà pourquoi, respirant hélas avec peine, quand tu m’as aperçu,

Sevrée depuis trop longtemps d’étreintes et de chaleur humaines,

Sans pouvoir te retenir, un élan de tendresse reprenant le dessus,

Tu vins vers moi, tremblante quémandeuse, empressée d’éprouver

Le bonheur de te blottir contre un homme étranger qui t’emmène

Là où se réfugient les êtres brisés de se sentir toujours réprouvés.

.

Sans prononcer un mot, sans oser me fixer, parcourue de frissons

Tu t’es collée contre moi afin que je t’enlace et, dans les ténèbres,

Nous nous sommes vivement embrassés, nos bouches à l’unisson,

Malgré les coups de fusil et le son du canon de cette débile guerre.

Était-ce une intuition, clair pressentiment d’une oraison funèbre,

En hommage à nos deux vies à l’écoute de leur instinct grégaire ?

.

Nos deux poitrines plaquées l’une contre l’autre, puissamment,

Comme pour réchauffer nos pâles chairs, frissonnant de concert

Nos bras enlacés nos corps imbriqués, oui ! dérangeants amants,

Nous chancelions à ce vif baiser, bouleversés par cette rencontre.

Nos salives mélangées, nos langues enhardies, nos émois sincères,

Longtemps nous sommes restés ainsi, sans songer à nos montres.

*      *      *      *

Tendrement enlacés, nous nous abandonnions quand tu te libéras,

Me poussant vivement, pour traverser la rue et disparaître au loin.

J’ai voulu te poursuivre mais y ai renoncé, plongé dans l’embarras.

Dis-moi, candide damnée, survivras-tu à ce monde ? Quant à moi,

Une balle en plein thorax, reçue au crépuscule et tirée sans témoin,

Je suis resté sous le porche dans l’attente de mourir. Seul, sans toi…

.

fichier pdf P 92 – Le déserteur

Poème écrit par Philippe Parrot

Commencé le vendredi 1 mai 2015

Et terminé le dimanche 3 mai 2015

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