Comment accepter l’inacceptable ? Comment supporter l’insupportable ? Comment, à l’annonce d’un tel drame, gérer « l’après » quand il vous ampute brutalement d’un être qui perpétuait votre chair, d’un être qui donnait sens à votre vie, d’un être qui détenait entre ses mains tant de promesses d’avenir ? Face à de telles horreurs et absurdités, douleurs et désir de vengeance surmontés, un immense sentiment d’impuissance ne peut que gagner ceux qui restent, incapables d’apporter des réponses à ces angoissantes questions : Pourquoi l’existence est-elle ainsi faite ? Pourquoi elle ? Pourquoi tant de sauvagerie ? Hélas, aucune explication « sensée » ne peut apaiser, en pareilles circonstances, cœur et raison confrontés à cette scandaleuse indifférence du Monde qui poursuit inexorablement son devenir, insensible à ces crimes, laissant l’homme seul face au Mal, seul à tenter de l’expliquer, de l’assumer et de l’éradiquer. Sachant qu’il demeure cependant l’unique responsable de ces ignominies !
Philippe Parrot.
Photo de S. Peron – Paris Normandie
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Avertissement : Ce texte qui évoque le viol et le meurtre d’une enfant pourrait choquer. Sa lecture est donc expressément déconseillée aux personnes sensibles.
Poème 103 : Enfance assassinée
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Quelle envie, subite et indomptable,
Aux délétères pouvoirs cathartiques,
Me pousse à aller, amer et pitoyable,
Sur ces lieux, honnis et dramatiques,
Où, sous la vile emprise d’un homme,
Ô combien lâche et dévoyé en somme,
Tu péris dans le coin reculé d’une forêt
Où tu t’étais réjouie de faire un arrêt ?
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Car depuis trop de mois, Toi, ma fille tant aimée, tu n’es plus
Bien que nous te sentions toujours égayer la maison, rieuse et résolue !
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Chaque matin, dès les premiers rayons
Laiteux de l’aube, je joue les trublions !
Seul malgré la fraîcheur sous les arbres
J’erre où ta vie fut fixée dans le marbre,
Voulant croire qu’à force d’obstination,
Émue, tu écouterais mes supplications.
Et je pose mes pas où tu posas les tiens,
Heureuse, mais tu ne me réponds rien…
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Chaque midi, lorsque les rais puissants
Du soleil au zénith soûlent d’ordinaire,
Seul, à l’ombre de bouleaux bruissants,
J’erre où tu croisas un être sanguinaire,
Voulant croire qu’à force d’obstination,
À t’ouvrir les bras, envahie d’émotions,
Tu me tendrais ta main pâle malhabile.
Hélas, tu la laisses toujours immobile…
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Chaque soir, quand le reflet agonisant
Et dernier du couchant va, te causant,
Seul, tout près des chênes centenaires,
J’erre où la brute t’abusa sans s’en faire,
Voulant espérer qu’à force d’obstination,
À quadriller le bois, prise de compassion,
Tu me rejoindrais pour me sauter au cou.
Ton absence pèse et je plie sous son joug.
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Car depuis trop de mois, Toi, ma fille tant aimée, tu n’es plus
Bien que nous te sentions toujours égayer la maison, rieuse et résolue !
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Et quand la nuit tombée, je retourne
Chez nous où aimant nous vécûmes,
D’être privé de toi, la tête me tourne.
T’avoir cherchée en vain, l’amertume
Me gagne. Je vais vite dans ton antre
Où toutes tes affaires sont là au centre
De ce qui demeure des souvenirs doux
Et je te pleure, brisé, tellement à bout.
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Dans ce sanctuaire où, seul, je pénètre,
Les objets recèlent une part de ton être.
Il m’apparaît au travers de leurs formes
Et, à te voir en eux, tu me transformes.
Je me livre à ton étrange bienveillance,
Extraordinaire, si troublante présence,
Jusqu’à ce que mes espoirs, vaincus par
Le sommeil, se meurent quelque part…
.
Car depuis trop de mois, Toi, ma fille tant aimée, tu n’es plus
Bien que nous te sentions toujours égayer la maison, rieuse et résolue !
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Vient ensuite le temps des cauchemars,
À revoir défiler les horreurs de la scène
Où le gars abject te viole puis se marre,
Hilare de te plier au désir qui le mène !
Comment ce monstre, ivre de ton sang
Virginal, le long de tes cuisses coulant,
Enfiévré par tes yeux hagards terrifiés,
Put-il croire qu’ils désiraient le défier ?
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Comment put-il, dans sa rage démente,
Ne pouvant tolérer, dans la tourmente,
Tes regards apeurés, frapper ton visage
Jusqu’à ce que tu fermas, vil engrenage,
Tes paupières ? Comment put-il, en bête
Diabolique, étaler sur tes chairs défaites
Le flux de tes entrailles, striant tes joues
De rouge, avant de t’achever d’un coup ?
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Comment put-il, jouissant de son méfait,
Dans la toute-puissance des tortionnaires
Grisés par le plaisir de soumettre en effet,
Aller jusqu’à couvrir ton corps nu de terre,
Effrayé soudainement par son ignominie,
Avant de fuir désirs assouvis mais bannis,
T’imaginant dans son esprit digne d’oubli,
Toi dont le manque me rend tout affaibli ?
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Quoiqu’il soit enfermé à purger sa peine,
Il me faut admettre, aveuglé par la haine,
Qu’il n’y a pas de jour où je rêve de le tuer
Sur la place publique au milieu des huées.
Cependant, je le sais, un tel geste impulsif
Ne servirait à rien… Ton visage, expressif,
Appartient pour toujours à un temps révolu
Durant très longtemps ma planche de salut.
* * * *
Il y a tant d’années maintenant que, Toi, ma fille tant aimée, tu n’es plus
Que je ne te ressens plus égayant la maison, de ta présence rieuse et résolue !
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Dans la débile grisaille de ma vie quotidienne
Où ma raison se perd, mon cœur s’est racorni.
Plus rien ne m’intéresse… Errance kafkaïenne,
Aucun but ne m’anime et, pris dans un tournis,
Je ne vois plus de lumière éclairer mon chemin.
Tel un ange déchu vite enclin à redouter demain,
Découragé, j’ai cessé de me rendre où tu mourus
Sûr que je ne te reverrai plus, ô ma fille disparue.
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Quant à me reconnaître à l’heure radieuse
Des retrouvailles, le pourras-tu ? Marquée,
Mon âme se sera perdue, trop malheureuse
D’avoir dû se démettre, égarée à débarquer
En ce lieu où tu rendis ton dernier souffle…
Restera, touchant témoignage, cette moufle
De laine que tu suçotais avant de t’endormir
À mettre dans mon cercueil le jour de partir.
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Là-haut, à nouveau réunis, je te lirai un conte.
Chaque soir, tu voulais tant que je t’en raconte,
Assis à côté du lit, toi, au chaud sous les draps,
Bercée par la voix d’un père à l’époque quadra !
Et… nous croirons soudain que rien n’a changé,
Toujours là, en famille, ta chambre bien rangée,
À vivre, et partager, des heures et des bonheurs,
Dans un tendre foyer où t’aimer fut un honneur.
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Et sache qu’au terme de ces souffrances, moi aussi ne suis plus
Bien que je continue, ta mère décédée, à hanter la maison où tu te plus !
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Poème écrit par Philippe Parrot
Commencé le vendredi 26 juin 2015,
Et terminé le lundi 29 juin 2015
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