Nathan regardait son modèle à travers l’objectif de son appareil. Sidéré par sa beauté !
Cette touriste étrangère qu’il avait rencontrée quelques jours plus tôt baguenaudant sur les boulevards parisiens, svelte et gracieuse dans le tailleur strict qu’elle portait, était à cette heure devant lui, nue dans son studio, assise à même le sol, ses jambes rabattues contre sa poitrine, retenues par ses bras. Et sur ses épaules au teint de pêche, sa flamboyante chevelure auburn ondoyait, longues mèches qui s’éparpillaient autour de son cou avec grâce. À sa demande, elle avait tourné son visage de trois-quarts et le regardait, semblant le traverser sans qu’elle paraisse le voir. Impénétrable sphinx !
Mais lui n’en avait cure, sachant qu’il émanerait bientôt de cette insaisissable créature trois autres imbriquées les unes dans les autres par le miracle d’un savant montage. Et que cette chimère-là, fantasmagorique et évanescente, le hanterait à chaque seconde de chaque minute de chaque heure de chaque journée, le temps qu’il s’en détache comme une feuille de son arbre…
Philippe Parrot
Portrait de Me Duvaucey (1807) par Ingres
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Poème 119 : Esprit hanté
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Dès que j’ouvre les yeux,
Dès que je quitte ma chambre,
Dès que je prends un bain délicieux,
Dès que je sèche mes membres,
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Tu hantes mon esprit…
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Dès que je m’habille près du miroir,
Dès que je mange seul dans mon coin,
Dès que je me rappelle mes déboires,
Dès que je voudrais m’enfuir au loin,
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Tu hantes mon esprit…
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Dès que je cours bosser au bureau,
Dès que j’allume tous mes écrans,
Dès que je vomis mon chef faraud,
Dès que je me sens soudain à cran,
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Tu hantes mon esprit…
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Dès que j’erre dans les rues,
Dès que je salue les passants,
Dès que je croise un malotru,
Dès que je le crois menaçant,
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Tu hantes mon esprit…
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Dès que je lis les journaux,
Dès que j’y vois tant de violence,
Dès que je sirote des verres de Pernod,
Dès que je me soûle et m’en balance,
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Tu hantes mon esprit…
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Dès que je me ris d’une donzelle,
Dès que je l’écoute beaucoup parler,
Dès que je la découvre vite rebelle,
Dès que je l’observe s’emballer,
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Tu hantes mon esprit…
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Dès que je fuis cette jungle,
Dès que je m’imagine sur une île,
Dès que je la monte en épingle,
Dès que j’en deviens fébrile,
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Tu hantes mon esprit…
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Dès que je reviens à ma tanière,
Dès que je regarde bêtement la télé,
Dès que je m’affale, vautré comme hier,
Dès que je m’abrutis tel un fêlé,
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Tu hantes mon esprit…
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Dès que je devine venir la nuit,
Dès que j’ai peur d’aller dormir,
Dès que j’attends qu’il soit minuit,
Dès que je crains d’encore gémir,
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Tu hantes mon esprit…
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Dès que je me glisse dans mes draps,
Dès que je m’enfonce dans mes rêves,
Dès que j’oublie mes peurs de quadra,
Dès que je me figure vagues et grèves,
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Tu hantes mon esprit…
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Dès que mon corps se détend,
Dès que mon âme s’abandonne,
Dès que je m’en remets au Temps,
Dès que je nie qu’il y ait maldonne,
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Tu hantes mon esprit…
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Ensuite, qu’une aube nouvelle, enfin, se lève,
Que d’autres routinières tâches s’imposent,
Que des regrets m’assaillent sans trêve
Ne m’accordant aucune pause,
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Tu hantes mon esprit…
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Ainsi en va-t-il de mon destin
D’être de toi toujours sur ma faim,
Faute de vivre ensemble, à l’instinct,
Dès demain et jusqu’à ma fin !
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Cette fin… qui, trop, me hante !
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Poème écrit par Philippe Parrot
Commencé le vendredi 28 août 2015
Et terminé le dimanche 30 août 2015
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