Initialement, il s’agissait dans mon esprit d’écrire une « histoire un peu longue » pour marquer la présentation de mon 150ème poème. Rien de plus ! Dès lors, à la fin de la première strophe, je n’imaginais pas un seul instant m’embarquer dans une aventure aussi bizarre qui m’accaparerait le cœur et l’esprit pendant neuf jours, allant jusqu’à me réveiller certaines nuits, habité par de subites idées…

Mais, pris à mon propre jeu, les visions se sont succédées les unes après les autres, s’imposant à moi avec une telle force qu’il fallait me soumettre à leur évidence au fur et à mesure qu’elles surgissaient. Plus d’une semaine de transe ! À vivre hors du temps, dans un état de quasi hébétude, ailleurs en permanence, dépossédé de moi-même par ce déferlement d’illuminations…

Dense, long ─ très long ! ─ et totalement délirant, maintenant que ce texte est achevé et que toutes mes émotions se sont taries, je me demande encore comment j’ai pu écrire un récit aussi décousu, incapable de savoir d’où me vint cette foisonnante inspiration. Et, à cette heure où j’en suis enfin détaché, je sais que je n’aurai aucune réponse à cette question. Autant dire, lecteurs, qu’il ne faudra surtout pas chercher à comprendre ce voyage, pour la bonne et simple raison qu’il n’y a strictement rien à comprendre. Ne vous restera plus alors ─ bien calés dans un fauteuil avec le désir de prendre le temps de lire et de relire mes mots ─ qu’à vous laisser porter par l’incongruité des scènes, et, peut-être à cette occasion, qu’à chavirer brutalement, propulsés dans un univers onirique où tout existe, même les plus incroyables invraisemblances…

Philippe Parrot

Naissance de Vénus - Botticelli

Naissance de Vénus – Botticelli

 *      *      *      *

Poème 150 : Oniriques errances en Pays Imaginaire

.

Mon sac de cuir en bandoulière,

Mes rêves accrochés aux étoiles,

Mes lèvres en quête de fontaines,

Du sommet des dunes du désert,

.

J’ai vu des mouettes meurtrières

Déchirer d’un coup d’aile la voile,

Linceul écru d’un pirate capitaine

En train de mal cacher la misère :

 .

D’un grand navire fantôme perdu

Dans les airs, et privé d’équipage !

Ces gros-bras au harpon voltigeur,

Partis chasser de placides baleines

 .

Qu’ils dépècent, vivantes et pendues,

La gueule hilare, au milieu du tapage

De ces vents tempétueux trop rageurs

À tenter de les mettre hors d’haleine…

*      *      *      *

À me lancer sur ces terres désolées,

Traversées par d’affamés nomades,

Sur le dos de chameaux impavides,

Las de tirer en vain de leurs bosses

.

Des graisses nutritives ; déboussolé

Par les viles mœurs et les brimades

De ces pillards sans foi ni loi, avides

De razzias, en soldatesques féroces,

 .

J’ai cru voir apparaître, bel enfoiré,

Dans le champ de mirages scabreux

Des Magiciennes esclaves, attiques,

Livrées aux désirs d’un Cyclope Roi.

 . 

Et, à la vision de leurs seins moirés,

Pesants d’envoûtements ténébreux,

J’ai distingué dans sa chair la clique

De ses pulsions arriver par charroi…

*      *      *      *

Alors, balafrant son poitrail desséché

De momie sertie de mille bandelettes,

J’ai occis ce bipède cacochyme, véreux

Monarque dépravé, sénile assouvisseur

  .

De l’envie d’acheter, poussé par le péché,

Des sorcières pures, trieuses d’amulettes.

Incisant son ventre avec un éclair de feu,

Dans l’irisation de cent soleils jouisseurs,

 .

À ses cris d’agonie, lancés dans le silence

Des univers muets au triomphe insolent,

J’ai hurlé pour chercher à faire chanceler

Ce monstre antique au si puissant thorax,

 .

Puis, arraché de mes mains, avec violence,

Fébrile de le brandir, son œil sanguinolent,

Extirpé de son visage, lequel m’interpellait,

À rire de la mort dont l’acceptation relaxe…

*      *      *      *

À leur voix que j’entendais en m’approchant

Et laissant dans mon sillage quelques traces

De son sang, pareilles à ces scènes de crimes

Dont les mobiles restent toujours incompris,

 .

J’ai vite deviné qu’elles entonnaient un chant

Provocateur, aux paroles et aux récits salaces,

Ravies de ressentir dans la jouissance sublime

De leurs folles libertés, recouvrées et sans prix,

 .

La griserie d’un bal de Sabbat quand, inspirées,

Elles se donnent, nues, au génie de leur miroir.

Suspendu à leurs doux mamelons à l’expressive

Couleur des roses, chacun me rassurant comme

 .

Des havres de paix, tout au long de cette virée

D’insomniaque, constamment assoiffé, à boire

Leur nectar ambré, j’ai deviné maintes lascives

Et bonnes raisons de me réjouir d’être homme.

*      *      *      *

À déceler, au fond de leurs prunelles ces belles

Échappées, remparts à nos doutes et frissons ;

À savourer l’imbrication de nos chairs, accortes

Et pâles, unies les unes avec les autres ; à sentir

 .

Leurs bras m’enlacer pour m’avoir contre elles ;

À me soûler à leur breuvage, sans faire de façon,

Je me suis imaginé ce comique noyé qu’emporte

L’étale mer de lait, heureux un matin de partir…

.

Mais, quoiqu’augurassent de fécondes alliances

Leurs sourires radieux et leurs yeux langoureux,

J’ai cependant obstinément refusé de m’abîmer

Dans les profondeurs de leur bassin frissonnant

.

Au gré de leur vif abandon, dans la flamboyance

De ces couchers dont se rappellent les amoureux,

Indifférent à son orgasme quand l’une se pâmait,

Troublée brutalement par mon appétit étonnant.

*      *      *      *

J’ai regardé par-delà ces idoles d’antan,

Aux pouvoirs tempétueux et mythiques.

Ah ! Que de telles ardeurs déboussolent

Les dieux dans leur Olympe retranchés !

 .

Sautant sur un nuage poussé par un vent

Chaud, ascendants courants hiératiques ;

Vautré dans son fond laineux loin du sol ;

Ébloui par la soif de vols jamais étanchée

.

D’un aigle noir intronisé dans cette aire

D’où partent pluie, déluges et tempêtes,

J’ai vu, au travers de ses pupilles vertes,

L’Immensité que nul errant n’a perçue :

 .

Des océans, victimes de tornades-mères,

Pareils à des abysses, avoir un air de fête

Et jeter mes idées dans la béance ouverte

De leur profondeur d’où la Vie est issue !

 .

Des routes, m’emportant bien-delà de cols

Jusqu’au sommet d’une inviolée montagne

Dont les neiges irisées, à la blancheur crue,

Illuminaient mes nuits cauchemardesques !

.

Alors, j’ai tué mes peurs et embrassé ce sol

Où tous les jours trois déesses empoignent

Des guerriers en armure et à la barbe drue,

Laudateurs de maints combats titanesques

.

Qu’ils livrent contre le Temps. Vengeresses

Furies à l’assaut du Néant, elles emmènent

Nulle part sinon près d’un gouffre sans âge

Où ma bouche se repaît de la Matière Noire

 .

Que créent les galaxies, ces enchanteresses

Créatures sidérales vives lointaines amènes

Et inspirantes, ouvreuses de l’étroit Passage

Vers l’Anneau Savant où niche un grimoire.

*      *      *      *

À suivre après, en mer, une baleine célèbre,

J’ai soudain pressenti, au rendu de ses yeux

D’encres mortifères que j’atteindrais bientôt

La calanque où flottent des corps d’hommes.

 .

À les repêcher pour qu’ils cessent, funèbres,

De pourrir à côté d’une épave, par des dieux

Arrimés pour effrayer les marins en bateau,

Haïssables divinités disjonctées par l’opium,

.

J’ai senti ma colère s’en prendre alors, mâle,

À la bêtise de ces pisse-vinaigres maniaques,

Envoûtés par les feux, ô combien immoraux,

De rayons brûleurs d’apocalypse. Prisonnière

.

Dans une nasse en fer, posée sur un fond sale

Une sirène fulminait contre ces démoniaques

Acteurs. À la savoir ainsi prise, sur des coraux

Où dormaient des murènes, vieilles et altières,

 .

J’ai soudain admis qu’elle avait de la trempe

À honnir ces preuves d’irrespect à son égard.

Hélas il n’y avait pas la moindre échappatoire

À ce piège infernal dans lequel elle avait chu…

 .

Il y avait un brochet vicieux, des hippocampes

Vertueux, de débiles orchidées d’écumes rares,

Des pieuvres dont les pratiques masturbatoires

Déchargeaient des litres d’une semence déchue.

.

Lassé par ce bordel menant droit dans le mur,

Trop aliénantes images, en rebelle inconscient,

J’ai fui ce monde soumis au Diable trop déluré,

Avec sa queue fourchue et son impudique danse

 .

Satanique. Elle pousse les satyres au membre dur

À pénétrer de force le ventre des vestales officiant.

Ah ! qu’il m’effrayait, totalement, à sonner la curée

D’un banc de mérous qu’il avait attrapé, en transe !

*      *      *      *

Encore intrépide et palpitant, ses ventricules

Pleins d’un sang âcre à l’épaisseur visqueuse,

Mon vif cœur s’emballait et, les yeux horrifiés

Et l’esprit égaré, à reculons, je me voyais vivre

.

Au rythme halluciné de mon rageur pouls, nul,

Mes forces embringuées sur une route oiseuse,

Trop païenne. Conscient de ne pouvoir m’y fier,

Je me le suis extirpé ce fouteur de merde et, ivre

.

Des alcools d’un aubergiste râleur, au comptoir

D’un port franc enchâssé dans une étroite baie,

Je l’ai dévoré tout cru, croquant sans m’en faire

Dans ses muscles noueux, brisant les frêles liens

 .

De mon être trop attaché aux amours notoires

De mille mères nourricières, aux bouches bées.

Dispensatrices, du bout des doigts, dans l’éther

Où forniquent des vieux sages, de tant de bien !

*      *      *      *

Du fait de cet acte cannibale et violent, j’ai senti

Ma raison défaillir, jetée dans les boues infinies

De cloaques cachés aux sagesses des archanges,

Aux envies des manchots et des nains, culbutés

.

Par des typhons destructeurs des îles de Tahiti,

Ces archipels petits où, bien calés dans leur nid,

Des oiseaux de paradis chantonnent les louanges

De vieillards soûlographes, aux manières butées,

 .

Coupeurs de leurs ailes pour qu’ils ne s’entêtent

Plus à partir vers d’autres engageantes contrées.

Mes peurs et mes hontes décuplées par leur vain

Sacrifice, dans les nuits et brouillards des landes,

.

J’ai laissé mes démons, la mine renfrognée, la tête

Dans le cul, se camer enfin à l’héroïne, sans attrait

Pour douze hétaïres cachées sous leur pied d’airain

En train de jouir comme de viles bêtes de légende…

*      *      *      *

Écœuré par leurs pratiques, j’ai sauté sur un tapis

Volant, en quête des Petits Rats dansant à l’Opéra,

Sur une scène de planches de guingois craquantes

Sous leur poids. Elles vibraient au rythme décousu

 .

Des claquements de mains de dix messieurs flapis,

Assis au parterre, bourgeois désœuvrés, sans aura,

Cependant escortés de valets aux allures pimpantes

Pour changer leur culotte… Éberlué, j’ai vu, de visu,

.

Ces pingouins baisser le slip, pour la bonne raison,

De ces mâles incontinents. Ils bavaient d’émotions,

Rêvant de s’emparer de leur minois de jouvencelles

Ou de baigner dans leurs menstrues de nymphettes.

.

Ô bain de jouvence ! Tu redorerais un peu le blason

Terni de ces vieillards décatis, incapables d’actions,

En attente de la mort, frustrés de voir à travers elles

Leur échapper amour et jeunesse, honneurs et fête !

*      *      *      *

Telle serait l’existence, avec ses sottes convenances !

Penaud, avec les airs contrits des orateurs eunuques,

J’ai donc vite décidé de repartir sur un radeau maudit

En direction d’un monde où il y aurait des îles bleues,

 .

Accueillant seulement criminels, traîtres et balances,

Tous radieux ne plus côtoyer ces guignols à perruque,

Désireux de dormir dans des hamacs, loin des taudis,

Au fil de leurs nuits éclairées par des falots, morbleu !

.

À me sentir seul, j’ai pleuré dans mon coin, en reclus,

Des tombereaux de larmes, aux aubes déconcertantes

Des lunes calamiteuses qu’effarouchaient des augures,

Cernés de lueurs maltraitantes… Et, dans les moiteurs

 .

Du jour, sevré d’amour, je me suis abandonné au flux

De mes songes amers. Au fil du quotidien, ils hantent

Les méandres de mes méninges, à jamais immatures,

Pareils aux zombies ignorant le comptage des heures.

*      *      *      *

C’est alors que j’ai vu, encadrée par deux prêtresses

Laudatrices de son charme d’indomptable amazone,

Descendre d’un Pégase, aux ailes longues et graciles

Portées, au milieu des nuages, par un vent complice

 .

Modéré, une Vénus belle et nue, irradiée de sagesse,

Avec, dans sa main, au chaud et à l’abri des cyclones,

Une colombe. Divine, elle masquait mal sous ses cils

La brillance éclatante de nos futurs bonheurs en lice.

.

Sa candeur était telle, aux antipodes des langueurs

Des femmes voluptueuses vautrées dans la luxure,

Que je n’ai pu résister aux errements de la passion,

Courant dans son sillage où poussait, derrière elle,

.

À chacun de ses pas, un lys pâle en son honneur,

Au parfum délicat, d’une telle scintillante facture

Que mes mains moites en tremblaient d’émotion,

Tous mes sens soumis à ses envoûtements. Fidèle,

.

J’ai continué dès cet instant à suivre son chemin,

Ralliant à son passage mille hommes désespérés,

Porteurs de tant de meurtres et tant de trahisons

Que seule son innocence pourrait les pardonner.

.

Malgré la fange collée à leurs bottes d’humains,

Ils voulaient bien la croire, trop fatigués d’errer.

Ce fut un coloré parcours, le temps d’une saison,

Que nous fit faire cette suzeraine à nous donnée.

 .

Au terme d’un long voyage aux lenteurs de rêve,

Aux paresses qu’on dresse, aux aléas qu’on gère,

Par une journée d’été, nous posâmes pied devant

Un océan sur lequel, c’était sûr, tous nous irions.

 .

Dans l’éclaboussement des vagues sur la grève,

Je l’écoutai chanter une ballade sur notre Terre

Aux goélands hurleurs, fous de frôler avec allant

Les crêtes dentelées et écumeuses. Ébahis, rions

 .

À ses jeux ; moquons nos vies où l’on court !

Et laissons tous les autres s’échiner à gagner

Un salaire suffisant pour honorer par chance

Leurs imbéciles dettes ! Une brise s’est levée,

 .

Revigorant soudain mes espoirs en un amour

Encore possible. Tous fiers de l’accompagner,

Nous avons navigué sur une mer où l’on danse

Au gré des houles quand un promontoire élevé

.

Parut, annonciateur d’un cap où vivre, heureux

Et insouciants au pied de vieux volcans accolés.

La nature nous acceptait, pleine de compassion,

Oublieuse de nos subites volte-face, des amants

 .

De nos nuits, de la vanité de nos songes creux.

Plus douce qu’une mère, aux tenues bariolées,

Plus alerte qu’une sœur, experte en attentions,

Elle absolvait nos fautes sans aucun sacrement.

*      *      *      *

Avec leurs yeux globuleux, aux facettes dorées,

Des libellules tueuses, aux ailes vrombissantes,

Posées sur ses doigts, me fixaient, plus terribles

Que le regard d’un juge au tribunal condamnant

.

À la mort… À croire qu’elles souhaitaient dévorer

Chairs et os, de suite, leurs mandibules puissantes

S’activaient par à-coup et je l’observais impassible

Rire gentiment à ces chatouillements surprenants,

.

Cocasses et innocents, piments de cette soirée d’été.

Elle prenait du plaisir à ces enfantillages trop longs.

Sa nudité, son port, ces insectes affairés sur sa peau,

Diaphane et douce, pareille à quelque poupée neuve,

 .

Sortie de la caisse à jouets d’une fillette trop gâtée,

Troublaient tous mes sens, tous à mettre au pilon…

J’ai alors compris que mon âme accéderait au repos

Qu’en faisant le choix de la fuir, seul dans l’épreuve.

*      *      *      *

Rêveur loin du monde, plus attaché aux images

Qu’aux gens eux-mêmes en butte aux difficultés

Des jours et qui, sans jamais l’entrevoir en clair,

Toutefois les inspirent, dans les brumes célestes

 .

D’où viennent mes pensées, j’ai discerné en nage,

Dans le regard de cette beauté pleine d’ingénuité,

Les feux brûlants d’une passion à mettre les nerfs

À vif, le cœur noyé dans des affres trop funestes…

 .

Dans cette révélation m’apparut l’essentiel :

Le territoire magique des mots ensorceleurs !

Ils fixent maints cadres, ô combien enivrants,

Aux beaux mirages dont s’enivrent nos esprits.

 .

Étrange monde mystique où l’élan immatériel

De nos visions poudroie l’horizon aux couleurs

D’autres vies que celle que nous vivons, ouvrant

La voie à des héros fictifs, aux vertus sans prix !

*      *      *      *

Plus relevés qu’un alcool, plus hallucinogènes

Qu’une drogue, plus profonds qu’un bleu nuit,

Seuls les mots pourraient, triturés amplement,

Les faire exister à jamais : Elle et tous ces êtres

.

Un soir rencontrés, ravis de quitter, sans peine,

À travers l’écriture, l’anonymat où rien ne luit !

De par leur pouvoir, ils panseraient sciemment

Mes blessures invisibles, très fiers d’apparaître

 .

Comme les sauveurs de mon âme souvent lasse,

À toujours vivre sans salut, sans dessus dessous.

En silence, eux seuls conforteraient mes espoirs

Ténus en un possible meilleur ! Car ils éteignent

 .

La flamme de nos désespérances et pourchassent

Les vives craintes trop souvent abattues sur nous,

Annihilant les effets de nos angoisses chaque soir.

Ah ! Salvatrice ivresse des langues, elles étreignent.

*      *      *      *

C’est donc à l’instant précis où cette conviction,

Jaillie dans la fulgurance d’une révélation, allait

Enfin me pénétrer que j’ai compris, en somme,

L’intérêt de cette odyssée… Dans le crépuscule,

 .

Ceinte d’auras occultes menant à tant d’actions,

Flamboyantes, pareilles aux lumières des palais

Magnifiques, elle s’imposait réellement comme

Muse, le guide de mon jardin secret minuscule :

 .

Le fin mot de l’histoire et des maux du destin

D’un quidam solitaire, prétendument poète !

Refermant sur autrui les portes de mon cœur,

Dans l’indicible fracas de mes cris inaudibles,

 .

J’ai su qu’elle égayerait ma prison, à l’instinct,

Souillée par les crachats de ma bouche muette.

Beauté devenue chimère cause de mon bonheur

Et de fait la soignante de mes plaies incessibles !

*      *      *      *

Je la rêve depuis ce jour, icône évanescente et sagace,

Cernée de phrases, écrites de ma main… Et, toujours,

Elles la choient, femme idéelle dont les forces latentes

Poussent mes sens assagis vers des choix aux lenteurs

 .

Calculés. Ô solitude choisie, dans un élan de fugaces

Émotions vouées à mourir, je m’en vais faire un tour

Sur des routes mirifiques ou sur des grèves en pente

Douce où s’écrasent les flots, au gré de mes humeurs,

 .

De mes songes, ma conscience noyée dans ses ondes

D’être insaisissable. Jadis amante languide, adonnée

Aux plaisirs du sexe, chemin menant de l’hédonisme

À la luxure, je partage ma vie, chaque jour désormais,

.

Avec elle, en muse idéelle. Jamais elle ne me gronde

Et, malgré sa peine, elle m’assure vouloir pardonner.

Compagne chimérique, envoûté par son humanisme,

Je n’effleure son ombre pure qu’avec des mots aimés.

*      *      *      *

Du coup… j’ai vite remonté le Temps à la traîne,

Revivant avec elle, en songe, de tendres errances

Sur des viaducs hauts où des tortillards branlants

Et poussifs, vides de curistes, crachent leur fumée

 .

Au milieu de nuages voyeurs, au-dessus d’une arène

Où se battent de sots dragons frappés de déchéance.

À la violence de leur charge, à leurs regards brûlants,

J’ai su qu’ils refuseraient, ma réclusion, de l’assumer.

.

Venus d’univers cosmiques que fuient les demoiselles,

Ils concentraient dans leur gueule une force planétaire.

De même ai-je remarqué, dans ce convoi bringuebalant

D’un âge vénérable, le piètre confort du wagon de queue

.

Où s’ébattaient, avec quelle audace, un lion et sa gazelle

Dans un compartiment secret, vide, étouffant et sans air,

Sous l’emprise du désir, riant d’enfreindre, plein d’allant,

Les interdits qu’impose la morale à toute chose. Heureux.

*      *      *      *

Et nées de cette communion contre-nature,

Pris dans le maelstrom de mes délires, ravi,

J’ai vu sortir des graines de folie prétendue,

Des peaux de ces deux corps épousés, ébloui

 .

Par l’incandescence de leur étrange et mature

Passion. À ignorer tous les moralisateurs avis,

Ils croquaient fiévreusement au fruit défendu,

Sans pressentir, trop aveuglés, que le ver luit,

.

Même dans les pommiers au tronc maigrelet,

Aux racines putrescentes, au feuillage glauque.

Oui ! Leurs chairs exhalaient, au coup de gong,

Dans la griserie de leurs fols ébats, la fragrance

.

D’instants magiques ! Qu’ils m’ensorcelaient

Tandis qu’excitée par ses petits cris rauques,

Pattes tout écartées, elle exhibait ses longues

Cuisses graciles, riante et pleine d’assurance !

*      *      *      *

Dans le roulis chaotique de ce train sacrément

Déjanté adonné aux plaisirs, j’aurais aimé crier

À leurs tympans ce qu’ils sont retors, en retour,

Ces serpents ravisseurs de nos vices, dissolvant

 .

Nos vertus, dans les sueurs de leur enroulement

Fatal… Ils étouffent au fil des heures sans la nier

La parole des Apôtres tous au service de l’amour.

Ce baume… éparpillé par morceaux dans le vent,

.

Pénétrant et vivifiant, comme les gouttes de pluie

Dispersées sur les joues des hommes misérables !

Ses léonines ardeurs poussaient la femelle fébrile

À les laisser mourir, souriant à ses vils penchants,

.

Dans ses entrailles tandis qu’elle fixait ce qui luit :

L’Indicible, tout en s’offrant aux joies mémorables

Éparpillées dans chaque semence ailée qu’en avril,

Les souffles transgressifs jettent dans les champs…

*      *      *      *

Quel ravissement ! Oh ! quel singulier orgasme !

Dans l’émergence de mes souvenirs, aussi froids

Que les deux Pôles aux éblouissantes blancheurs

Semblables aux anges au sommet de leur gloire,

 .

Je l’ai même entendue ─ au milieu des spasmes

De pleureuses accroupies autour d’un gisant roi,

Toutes désireuses de se sacrifier là, en l’honneur

Du seigneur ─ confier d’une voix pleine d’espoir

 .

Combien elle l’aimait ! Tendre aveu déroutant,

Il fit choir une avalanche de boutons de rose…

Dans les coins reculés de la savane où il règne,

En maître incontesté, possesseur des poitrines

.

De phtisiques éléphants, moribonds et haletants,

Veillés par leurs femelles. Insatiables, elles osent

Chaque soir des caresses de licencieuses duègnes

Pour réveiller leur pénis, souillé d’odeurs d’urine !

*      *      *      *

Oui ! je converse maintenant avec ce fantôme,

À l’allure altière d’une princesse philosophe…

Conseillère des rouges-gorges, dans leur envol

Vers des haies, ignorants du danger, elle renaît

 .

À chanter a cappella, dans les forêts du royaume,

Maintes douces complaintes, toutes en strophes…

Du coup, j’ai vu sur son ventre, avec un air frivole,

Des marmottes vautrées avec leurs nouveaux-nés,

 .

Fières mères toutes touchantes dans leur effusion,

S’endormir debout, bercées par ses suaves paroles

Tandis qu’elle s’adonnait, à travers ses singulières

Prémonitions à l’origine de ses visions habituelles,

 .

Aux fructueux échanges où se meurent les illusions

Des hommes. Sots conquérants, stupides mongols,

En quête, sur chaque aire factice qu’ils conquièrent,

De trouver dans le cumul de biens un sens spirituel !

*      *      *      *

Et dire que je craignais, à n’avoir que des mots

Pour retenir son cœur, aux mœurs voyageuses,

Qu’elle disparaisse un soir, au détour de l’oubli,

De ma mémoire vacillante par manque de chair

 .

Pour ancrer son souvenir ! Installée, par défaut,

Sur une étoile filante presque morte, l’enjoleuse,

Bien qu’elle y allât pour raviver son éclat affaibli,

J’ai cependant compris, croisés là pour se plaire,

.

Qu’elle ne quitterait jamais le cercle de la langue

Où j’erre, trop attaché à elle et à sa féconde aura.

Où qu’elle soit, quoi qu’elle fasse, j’emprisonnerai

Toujours son âme, dans l’essence de mes phrases,

.

Au sein de mes moindres écrits, jamais exsangues.

Et, de cette communion au jour le jour s’échappera

L’illusoire conviction de ne faire qu’Un, dans un rai

De soleil son être marié avec le mien sans emphase.

.

Poème-fleuve écrit par Philippe Parrot

Commencé le 7 janvier 2016 et terminé le 15 janvier 2016.

fichier pdfP150 – Oniriques errances en Pays Imaginaire

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