Voilà trois décennies qu’ils correspondaient à l’occasion des vœux du Nouvel An, chacun dans des villes distinctes, lié par des attaches familiales et professionnelles. Mais leur amour de jeunesse, pour l’un et l’autre le premier, les avait si profondément marqués qu’il était à jamais resté enfoui dans leur cœur. Cette année passée ensemble — alors qu’ils avaient l’ardeur et l’insolence des jeunes de 20 ans — avait été certes trop brève mais si riche et intense qu’elle avait suffi à donner un sens à toute leur vie ultérieure.
Et, aujourd’hui que les hasards de l’existence les avaient libérés de toutes leurs responsabilités et obligations, ils avaient décidé de se revoir dans « leur » gare, celle-là même où ils s’étaient jadis rencontrés pour la première fois et là où, dans le passage qui donnait accès au hall d’accueil, ils s’étaient arrêtés un instant pour échanger un long baiser…
Philippe Parrot
Gare de Lisbonne – Photo de Nelson L
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Poème 220 : Retrouvailles
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Quand demain… voire plus tard,
Tous deux ravis mais impatients
De revivre d’intenses instants,
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Sur le quai de la grouillante gare,
— Parmi des voyageurs inconscients
De ne pouvoir rattraper le Temps —
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Nous nous reconnaîtrons soudain, après
Tant d’années passées à être séparés,
C’est avec émotion, entrecoupée de peur,
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Que nous nous rejoindrons, enfin prêts
À tout recommencer. Mal préparés,
Nous ne nous dirons rien, le cœur
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Serré, songeant que ce fut ici, jadis,
Que nos destins se croisèrent un été
Pour la première fois. De beige vêtue,
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Emportée par une foule aucunement complice,
Brune dame souriante, tu étais en beauté,
La plus élégante des femmes aperçues.
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À l’heure bénie du face-à-face, n’osant
M’octroyer le droit d’enfin te toucher
De nouveau, comme un adolescent,
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Timide et empoté, en aucun cas séduisant,
Incapable un court moment de se lâcher,
Je resterai là, bouche bée, impuissant.
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Nos regards abîmés dans la prunelle
De l’autre, notre mutisme trop parlant,
J’éviterai de trahir cette langue sans mot.
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Nos souvenirs d’hier, émergeant à la pelle,
Nous plongerons dans le monde ensorcelant
Des vifs frissons et émois, baumes à nos maux.
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Mon âme soulagée de ne se livrer par aucune parole,
Rassuré d’échapper à nos sottes platitudes d’usage,
Désespérantes et creuses… oublieux de ma gêne,
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Émerveillé de nous comprendre sans fariboles,
Dans un tendre élan, je m’emparerai de ta main sage,
Tout tremblant et mal à l’aise à trop manquer d’oxygène…
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Nous marcherons côte-à-côte, au beau milieu
De maintes gens pressés, jusqu’à ce large et haut passage
Entre deux halls d’accueil — t’en souviens tu ? — où je m’arrêterai.
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C’était autrefois à cette place, plein d’étoiles dans les yeux,
Indifférent aux moqueries, comme aux critiques et commérages,
Que je t’avais embrassée longuement, Vénus épanouie dans mes rets.
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Aujourd’hui, quand bien même, étonnée,
Tu rirais à répéter ce rituel quelque peu puéril,
Je t’enlacerai fort dans mes bras, l’un à l’autre collés,
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À l’exact endroit de ce mémorable baiser donné,
Toujours soucieux d’éviter, par des banalités inutiles,
De gâcher, faute de savoir par d’ardentes phrases l’auréoler,
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L’instant troublant de nos retrouvailles.
Pourtant, au milieu du tumulte, tu percevras
Dans la musique de mes silences et de mes pauses
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Que je te parle sans rien te dire de ce qui m’assaille !
Que je t’appelle sans jamais te nommer, ma belle Clara !
Que je me livre, tout à toi, sans dévoiler ce que je n’ose !
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Oui, mes yeux déclineront ce verbe, enivrant et céleste,
Profond comme les cieux, qu’on dit avec son cœur
Et qui absout si bien les étreintes que l’on vole.
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Ainsi, entre nous deux, n’y aura-t-il plus, hier manifeste,
Cette crainte de vains malentendus, propres à ternir cette heure
De bonheur. Vieux amants comblés de reprendre ensemble leur envol…
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Poème écrit par Philippe Parrot
Commencé le lundi 31 octobre 2016
Et terminé le mercredi 2 novembre 2016
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Ce texte est à mettre en parallèle avec :
Poème n°173 : Salle des Pas Perdus
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