De passage dans une ville cosmopolite, connue pour ses nuits de plaisirs, elle déambulait dans les rues pour tuer l’ennui, seule et privée de son mari durant quelques jours. La foule était nombreuse, à cette heure, sur la large avenue lorsqu’elle l’avait aperçu au loin, dépassant d’une tête la plupart des passants. Sa crinière flamboyante, son regard fauve, sa mâchoire carnassière l’avaient d’emblée fait frissonner, irrésistiblement attirée par cet inconnu.

Bien décidée à échapper à l’envoûtement, elle s’était résolue à baisser les yeux, le temps qu’ils se croisent, pour ne pas le voir passer près d’elle. Cependant, elle ne put s’empêcher de dévisager l’homme planté devant elle quand il lui demanda : « Madame, est-ce qu’une femme telle que vous accepterait de faire un bout de chemin avec une personne telle que moi ? ».

Dès cet instant, elle se sut conquise par sa voix caverneuse…

Philippe Parrot

225 - L'encordée

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Poème 225 : L’encordée

.

Il m’avait abordée avec tant

D’élégantes manières

— Charmée par ses iris clairs,

Son sourire lumineux et ses mots

À propos — qu’au milieu

Du boulevard, hors du temps,

Par nature trop entière,

J’ai cherché à lui plaire,

Pour oublier mes maux

Qu’il lisait dans mes yeux…

.

Perdue parmi la foule — pareille

À une charge de zombis égarés —

Où nulle personne ne se tourne vers vous,

Trop habitée par d’obsessionnels buts

Hélas le plus souvent égocentriques,

Je me sentais si seule depuis la veille,

De passage dans ce quartier festif et bigarré,

Que je n’ai pas souhaité, voyez-vous,

Contre lui m’engager dans une vaine lutte,

Ravie de renoncer aux morales archaïques.

.

Étrangement, tout inconnu qu’il soit,

Cachant sous sa faconde, par la force

Des choses, quelque part insondable

De son être, obscure et transgressive,

Poussée par une vive curiosité, aiguisée

Par un trouble que je flairais en moi,

Captivée par son panache, j’ai fait une entorse

À ma vie routinière d’épouse de notable

Où crevait en silence mon âme trop jouissive.

Éblouie par son charisme, le suivre, j’ai osé…

*      *      *      *

Envoûtée par ses phrases, semblables

À d’impudiques caresses qui embraseraient

Mes chairs et consumeraient mon cœur,

Mes idées assombries par sa mâle prestance,

Je n’ai pas refusé qu’il me prit par la main.

À chacun de ses mouvements, à la diable

Sa chevelure léonine, partagée par une raie,

S’agitait. Bel Apollon ô combien séducteur,

Il me libérait de ma raison sans résistance,

Rivée à l’aura de ce quidam plus qu’humain.

.

Ainsi, m’a-t-il menée, pleine de vague à l’âme

Et noyée dans un flux de frissons incongrus,

Dans le baroque entresol d’un immeuble cossu

Où régnait une ambiance propice à l’abandon.

Au milieu de l’espace, un grand lit recouvert

De draps de soie, doux aux rêveries d’une femme,

Invitait à des initiations, secrètes et très crues.

De grands tableaux, sur les murs aperçus,

Exposaient de jeunes nymphes, dans le don

De leur virginale beauté, offertes à l’univers.

.

Dans ce lieu singulier où le silence régnait,

Contre toute attente, il a cessé de me parler.

Son regard pénétrant, sa carrure imposante

Comme son attitude, provocante, révélaient

Un colosse volontaire, maître de maint désir

Ténébreux et puissant qu’il n’osait consigner.

Sans même songer un seul instant à hurler,

Sans même vouloir m’y opposer, défaillante,

J’ai laissé ses doigts, à peu à peu s’emballer,

Errer sous mes vêtements, en quête de plaisir.

.

Chavirée, et quand bien même coupable

De me réjouir de ses vices inconvenants,

Ma conscience recentrée sur mon ventre,

Je l’ai laissé agir, grisée par ses audaces.

Il m’a déshabillée puis, nue, m’a empoignée.

Plaqué contre moi, tous ses émois palpables,

Sans prononcer un mot, entreprenant,

Il a mis mes bras derrière mon dos, entre

Mes épaules et mes hanches et, sagace,

A compris me mater à la force du poignet.

.

C’était une sensation bizarre et délicieuse,

Méconnue jusqu’alors, de m’en remettre

À l’autre, aveuglément entre ses mains,

Docile, ivre d’obéir à sa mâle volonté…

Invitée d’une fête orgiaque aux rituels

Infernaux, mon jugement altéré, oublieuse

De mes devoirs, je jouissais de me démettre

Du libre-arbitre et, sans penser à demain,

De m’abandonner aux sulfureuses voluptés

D’un conquérant aux mœurs inhabituelles…

.

Cependant, si mes craintes demeuraient,

Contribuant pour une part à l’intensité

D’électrisants tressaillements, à percevoir

Avec quelle détermination il me dominait,

Chacune de ses actions précises et pensées,

Je me sentais, au fil des minutes, dans ses rets

Plus en confiance, livrée en toute ingénuité.

À le deviner expert en son art, un vrai savoir

Dont il usait avec une science presqu’innée,

J’aimais être sa « chose », à ses pieds effacée.

.

Alors que mes réflexions se clairsemaient,

Mes sens par la fièvre possédés, mes yeux

Se sont scellés pour me fermer au monde

Et m’ouvrir à de vives jouissances décriées.

Respiration haletante, enivrant lâcher prise,

Je m’élevais vers une aire éthérée, parsemée

De parterres colorés conçus par quelque dieu

Où mes chairs inertes s’exposaient à la ronde.

Je découvrais des tas de ressentis subtils, mariés

Avec bonheur aux joies d’être sous son emprise.

.

Chahutée par ses gestes amples et circulaires,

Toujours sans se confier mais le regard brûlant,

Il m’avait enveloppée dans un maillage de liens

Qui bloquaient tous mes membres dans une

Posture obscène, aux grâces démoniaques.

Jouet de ce ballet, noir et spectaculaire,

Je crus sous mes pieds le parquet branlant

S’affaisser quand, sous couvert de maintien,

Il me suspendit à une poutre à la seconde opportune

Où je baignais dans un état quasi paradisiaque.

.

Ses sangles sur ma peau la quadrillaient partout.

Cordages d’un navire parti vers d’obscures rives,

Avec, comme capitaine un ténébreux mentor,

Mi-démon mi-gourou, aux désirs maléfiques,

Ces attaches emprisonnaient mes bras, mes seins,

Mes hanches, mes cuisses, et mon sexe surtout.

L’esprit vacillant, tête en bas, pantelante et passive,

Mes cheveux ondoyants, en longues mèches d’or

Pendant jusqu’à terre, cachaient mon visage angélique.

Rassemblée sur moi-même, je vibrais sans dessein.

.

Mon corps entre sol et plafond, tournoyant

Dans le vide, au gré de ses fantasmes impérieux,

D’être ainsi possédée, soumise à l’impulsion

De ses seules envies, en femme consentante d’être

Une heure contrainte, tous mes muscles enserrés,

Je tombais en pâmoison, bel orgasme flamboyant.

Doucement alors, en mouvements affectueux,

Il me détacha par étapes, tressaillant d’émotion,

Et m’embrassa, déposée sur le lit, avant de disparaître.

Au matin, bouleversée par ce rêve, je suis sortie m’aérer.

.

fichier pdfP 225 – L’encordée

Poème écrit par Philippe Parrot

Commencé le lundi 28 novembre 2016

Et terminé le jeudi 01 décembre 2016

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