Gracieux solitaire qui glissait sur l’eau avec élégance et célérité, il avait agrémenté, durant tout l’été, nos promenades le long du canal de la Marne. Bien souvent, avant même que nous soyons à sa hauteur — la plupart du temps près des péniches à quai —, il virait de bord pour venir à notre rencontre, en quête de la nourriture que nous lui apportions. Agitant vivement l’arrière-train pour manifester son contentement, il rejoignait vite la berge où nous nous trouvions. Nous lui lancions alors des quignons de pain et dès que je m’approchais de la rive, il n’hésitait pas à venir les prendre dans le creux de ma main. Ainsi, faisait-il partie du paysage, heureux que nous étions de le croiser chaque après-midi.
Hélas, lundi 30 octobre, nous avons vite remarqué une masse blanchâtre flotter entre les roseaux. C’était lui. Le corps déjà un peu gonflé, ses plumes jadis d’un blanc lumineux maintenant d’un gris pisseux, la tête sous l’eau, le cou flasque… Mort de vieillesse, de maladie ou victime d’individus malveillants ? Nous ne le saurons jamais.
Fantôme désormais fiché dans mon esprit, je ne cesserai pourtant pas de le voir à chacune de nos sorties, tant la grâce de cet oiseau m’avait toujours enchanté, à cette heure empêtré dans la boue…
Philippe Parrot
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Poème 304 : Mort du cygne
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Nous marchions,
Nous tenant par la main,
En cette après-midi d’automne
Humide et frais à l’approche du soir.
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À longer le Canal de la Marne, imaginions
Nous, à cet instant, portés par l’entrain
De nos pas soutenus, le regard atone
À ta vue, brusquement te revoir ?
* * * *
Tout au long de l’été, à chaque
Promenade, nous t’avions aperçu,
Solitaire et altier, auprès des péniches
À quai, en quête d’aumône d’un batelier.
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Escorté de canards, aux coin-coin de maniaques,
Tu glissais sur l’eau, devant, pour prendre à leur insu
Ce qu’il vous balançait. Immergeant la tête, un peu godiche,
Tu noyais le pain dur pour qu’il se ramollisse, ton bec, bel allié…
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Ton repas expédié, à nous apercevoir — silhouettes coutumières —
Tu virais alors de bord pour venir nous rejoindre sur l’autre berge.
Pressé de t’approcher, tu traversais dare-dare l’ondoyante et verte
Surface, agitant facétieusement l’arrière-train, désopilant bonjour.
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Accroupis sur la rive, immobiles et rieurs, le cœur en bandoulière,
Nous t’appelions les mains tendues tandis que toi, sans gamberge,
Étirant ton long cou, soudain à notre hauteur, confiant mais alerte,
Tu mordillais nos doigts avec quelque rudesse, amusé du bon tour.
* * * *
Mais en cette fin d’octobre, bien loin de régner en maître incontesté
Sur ton aquatique royaume où ton plumage, immaculé et lumineux,
D’un blanc duveteux évoquait la pureté d’un monde céleste lointain,
Et ton corps, aux lignes équilibrées, les canons de la beauté parfaite,
.
Ce n’était plus que l’ombre de toi-même que nous observions, infesté
Bientôt par les vers. Avant de mourir — dis ! — en guise de bel adieu,
As-tu trompeté un chant et déployé tes ailes, hélas subitement certain
De vivre l’Ultime Instant, si redouté par tous ? Quelle pitoyable défaite
.
De devoir laisser de soi qu’une image ternie, qu’une chair putrescente !
Tu flottes désormais semblable à ces poissons crevés, gonflés et puants,
Remontés en surface, qui réveillent nos angoisses… Tu gis dans la boue,
Cadavre repoussant, hier encore sublime incarnation du Paradis Perdu.
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Pourtant, sache-le, où que tu sois, tes manières hautaines et suffisantes,
Empruntes d’une sereine fierté qui forçait le respect, avec bonheur tuant
Nos plus viles pensées, nul ne les oubliera. Pour ma part, le soir, debout,
Je te jetterai encore des miettes, te voyant dans mes rêves, voler éperdu…
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Poème écrit par Philippe Parrot
Entre le 7 et le 8 novembre 2017
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