Dans sa chambre, en Service de Soins Palliatifs, Serge l’attendait. En effet, son frère Roland et lui en étaient convenus dernièrement, et en secret, lorsqu’il avait senti, à bout de forces, sa fin vraiment imminente : malgré la folle audace qu’une telle décision impliquait, Roland allait « l’exfiltrer » de l’hôpital. Et ce serait en début de soirée, à l’heure des changements d’équipe, quand la surveillance se relâche un temps ! Le jour prévu, il était donc arrivé avec un fauteuil roulant « emprunté » dans un couloir et, illico presto, tous deux avaient pris la direction « Sortie »…
Maintenant que Serge était sur la plage de son enfance, face à la mer, à l’heure où le soleil se couchait, allongé sur un transat, ensuqué par une dose de morphine que Roland lui avait injecté, il eut malgré tout assez de volonté pour formuler sa dernière exigence :
- Frérot, laisse-moi seul maintenant ? Tu veux…
- …
- Et… À demain, à l’aube, comme convenu…
- O… O.K.
Roland s’attendait à cette demande discutée ensemble mais elle lui arrachait les tripes. Néanmoins, bouleversé et sans mot dire, il serra dans ses bras son aîné, très longuement, très fortement, puis, d’un bond, se leva et s’éloigna. Ils pleuraient…
Le lendemain matin, quand il retourna à la plage, Serge était là, livide et froid. Parti… Un étrange et indéfinissable sourire sur le visage.
Philippe Parrot
Photo libre de droit trouvée sur Pixabay.com (auteur : Zoosnow)
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Poème 330 : Dans les pinces du crabe
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Eh ! L’ Crabe ! Comme d’hab, sur l’ billot, j’ trouve idiot
D’êt’e embarqué par la Parque, sans brio, sur l’ rafiot
Des crevards point avares de chimio, délétèr’ éther.
Manqu’ trop d’air, pas d’ faux airs, quelle galère !
Mon corps, c’est trop fort, fait plus l’ matamore
Et fonce, sans ressort, tout droit dans l’ décor.
Mine de rien, mine défaite, bête, c’est ma fête
Et ma tête qui s’entêt’, s’inquièt’ d’ la défaite.
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Plus d’un an que j’ les sens, toutes mes filles
Sur le grill. Mêm’ ma meuf, d’puis ‘ier, qui quadrille
La baraque et qui craque ! On fait l’ deuil comm’ on peut…
Plus d’orgueil lorsqu’ l’ père, l’ mari — toutes marries — sous peu,
S’ ra dans l’ trou ! Au surplus, j’ m’accroche, bannissant l’anicroche,
Et j’ lutte sans but, fuyant débats ébats. À m’ sentir vide et moche,
Rat’rai-je c’ foutu dernier coche ? Merdre, qu’ c’est dur d’exister,
À leurs yeux effarés quand, foutre Dieu, j’ m’ sens plus assisté.
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Nul n’en parle car on l’ sait, dans ma piaul’ où l’on s’ tait,
Cette fois-ci, y a plus d’ « si ». Der des der, c’ foutu bel été !
Chiatique d’êt’e ainsi squelettique, teint terreux sans cheveux,
La bouffe que j’ garde pas, les forces que j’ m’efforce, c’est heureux,
D’ préserver pour donner un peu d’ vie, sans envie, à c’ qui reste de moi,
Chair pourrie. Et l’ Crabe qui m’ grignote, vorace, l’ veinard, sous mon toit.
Ah ! Ma Lou ! Engoncée dans l’ silence, tu t’ bats tant et tant pour cacher
Tes souffrances que j’ te voudrais détachée d’ ton mec, bientôt arraché.
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Il est temps maint’nant d’ dire adieu aux choses d’ mon Passé…
Après m’êt’e enfermé dans l’ déni, tant d’ mois, trop d’émois, cassé,
Bénie soit la morphine, devine : ma copine ! Elle inonde mon monde
D’ langueurs astrales qui m’ rendent — magiques grisantes ondes —
Étranger à vous tous, extérieur à moi-même… Dans cett’ sphère
Irréelle où les douleurs s’estompent et les regrets s’enterrent,
Résigné, j’ai trop hâte d’ déguerpir pour vous laisser, enfin,
Vivr’ ailleurs, et sans moi, avec d’aut’es… D’aut’es faims !
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Vach’rie d’ Crabe, vendu à la Reine Noir’ ! Puisqu’ tu m’évinces,
Emprisonné dans tes sales pinces, vraiment pas du genre « mince »
Tandis qu’ tu m’ boulottes les boyaux, sacré fils de salaud, et qu’ j’étouffe,
Mis K.O, dans c’ chaos, v’là ma supplique ! Fais donc vite que j’ dise : « Ouf ! ».
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P 330 – Dans les pinces du Crabe
Poème écrit par Philippe Parrot
Entre le 9 et le 10 mai 2018.
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En rapport avec ce pathétique face-à-face avec la mort, découvrez un autre texte : Poème n°301 – Anne Bert
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