À transcender la simple illustration de la manifestation des Gilets Jaunes organisée sur les Champs-Élysées le 15 décembre 2018, la photographie de Valéry Hache est en passe de devenir l’une de ces photos culte qui résument par leur portée symbolique tous les enjeux sociétaux d’une époque. En effet, dans la confrontation de ces deux femmes, c’est l’incarnation même des valeurs fondatrices — et antagonistes ! — de la République qui s’expose, immortalisée.

D’un côté, une représentante du Pouvoir, harnachée d’impressionnants moyens de défense et d’attaque, au service d’une exigence d’Ordre afin que les institutions perdurent ; de l’autre, une représentante du Peuple, vêtue d’un simple bonnet phrygien, au service d’une exigence de Liberté afin que les hommes s’épanouissent… D’un coté, une volonté de Puissance au vu des boucliers, des casques et des matraques, sinistre et lourd équipement synonyme de peurs et d’entraves ; de l’autre, un aveu de Vulnérabilité, au vu des seins et des mains nus, synonymes de vie et de mouvements…

Cependant, malgré ces contraires qui semblent les opposer, l’on pressent à leur attitude que ces deux-là ne veulent ni se fuir ni se combattre. Bien au contraire ! Elles désirent profiter de l’occasion qui leur est faite pour se toiser, se jauger, se juger comme si elles sentaient obscurément qu’elles étaient indissociables et complémentaires, telles les deux faces d’une pièce de monnaie. En effet, au sein de l’État, se pourrait-il que la Liberté s’exerce pleinement sans un Pouvoir pour la définir et la cadrer et se pourrait-il qu’un Pouvoir ait une vraie légitimité sans se poser constamment comme son indéfectible garant et son pugnace défenseur ? Non ! Liberté et Pouvoir sont consubstantiellement liés l’un à l’autre même si nous nous complaisons souvent à prétendre le contraire. Et c’est justement là que réside la puissance du cliché. Dans la fixité de leur regard, dans la détermination de leur posture, dans le silence de leur face-à-face, c’est tout le problème de la nature de leur relation que ces belles égéries évoquent. En fait, tandis qu’elles se dévisagent longuement, chacune ne chercherait-elle pas dans l’autre, par-delà sa singularité, par-delà son engagement, par-delà toutes ces choses qui les séparent, ce subtil lien qui les unit à leur corps défendant et qui se laisse deviner dans la dignité et la force de leur échange ?

Touchantes par leur jeunesse et leur beauté, toutes deux, à leurs manières, ne seraient-elles pas les parfaits symboles des aspirations ambivalentes des peuples ? L’une conspuée mais nécessaire, l’autre adulée mais ingérable… À ce titre, la gendarme et la militante ne seraient-elles ces deux « Marianne » constitutives de toute République ? Ne serait-ce pas pour cette raison qu’elles nous subjuguent ? Malgré leurs criantes différences, ne pressentent-elles pas obscurément qu’elles ne peuvent se passer l’une de l’autre ? Mais à afficher clairement, à travers la raideur de leur port, qu’aucune ne veut trahir une telle pensée, bien trop intime et dérangeante, elles nous impliquent de ce fait dans leur joute, nous obligeant à nous interroger à leur place sur la nature du rapport entre l’Ordre et la Liberté, entre la Loi et le Désir…

Voilà pourquoi ce cliché, véritable œuvre d’art, émeut par son universalité. En effet, il confronte chacun d’entre nous à la problématique de la place des hommes et des systèmes dans la société. Bien au-delà de l’événement social qu’elle couvre, c’est surtout cette interrogation-là que la photographie saisit. Ce que ces deux Marianne cachent derrière leurs yeux impénétrables, c’est la question des limites de leur engagement comme de leurs convictions. En choisissant de ne pas prendre parti, leur mutisme, leur froideur, leur hauteur nous obligent à trancher à leur place en tant que citoyens. Par-delà leur personne, en Marianne héroïque et intemporelle, elles nous laissent le soin de trouver les solutions adéquates pour que la République perdure, dans un parfait équilibre entre lois et libertés.

Ainsi, cet instantané pris sur le vif nous élève, nos consciences forcément interpellées par la noblesse des attitudes, la profondeur des questionnements et la difficulté des réponses.

Philippe Parrot

364 - L'Ordre et la Liberté

Photographie de Valéry Hache pour l’AFP

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Poème 365 : Marianne, l’Ordre et la Liberté

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En ce mois de décembre… sur les Champs-Élysées,

Tous s’indignaient, laissés-pour-compte galvanisés.

Pareils aux parias trop longtemps traités d’ordures,

Parqués loin pour qu’on n’entende leurs murmures,

Ils venaient de partout, des villes et des campagnes,

Las de leur vie laborieuse où nul, jamais, ne gagne…

.

Lycéens angoissés par trop de sélections sans faille ;

Chômeurs de tous âges, exclus du monde du travail ;

Retraités écœurés de survivre avec peu bien des fois ;

Smicards minés de ne pouvoir finir leur fin de mois ;

Artisans acculés, sous les charges, au dépôt de bilan ;

Mères seules, sans revenus pour élever leurs enfants ;

.

Baisés, ils s’étaient donnés le mot pour monter à Paris

Où pavanent dans l’insouciance, au milieu des soieries,

Ces « élites » médiatiques… financières… économiques

Et politiques… érigées en une seule classe oligarchique

Qui méprise les « Sans-Dent », se croyant intouchable,

Et accumule des fortunes par des biais condamnables…

*      *      *      *

Malgré leurs rangs clairsemés, par ce matin très froid,

En « Gilets Jaunes » bien décidés à exiger leurs droits,

Ils hurlaient leurs revendications devant une escouade

De la Mobile quand ils virent — bien étrange parade —

Cinq beautés marcher droit vers les Forces de l’Ordre,

Positionnées là pour retenir sans jamais en démordre.

*      *      *      *

Après un court échange entre elles, en parfait accord,

Elles jetèrent leur manteau sans le moindre remords,

Dévoilant leur torse nu aux hommes alentour, épatés.

Elles portaient sur la tête, l’air en aucun cas emprunté,

Un bonnet rouge phrygien, en combattantes probables

De notre République malade d’idéaux trop comptables.

.

Aubaine des photographes omniprésents sur les lieux

Qui se tenaient prêts à saisir cet événement séditieux,

Soudain s’est détachée du groupe, sublime souveraine

Au courage évident, au cœur point envahi par la haine,

L’une de ces égéries. Avec audace, le visage impassible,

Elle s’est plantée devant « une » gendarme. Invincible…

*      *      *      *

Harnachée lourdement de divers moyens d’attaque

Et de défense, derrière son large bouclier, matraque

À la ceinture, casque sur la hanche, en « guerrière »

Au corps entièrement protégé et caché, sûre et fière,

Elle darde… sous son calot, un œil de lynx pénétrant

Sur celle qui lui fait face, en « Citoyenne » s’offrant.

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Laquelle, icône aux seins exhibés, chairs recouvertes

D’une peinture patinée, étalée par une main experte,

Si dérisoire armure sur la peau, lui oppose un regard

D’aigle, insaisissable et noir, glaçant à maints égards,

Avec une telle hardiesse que ces femmes symbolisent,

Chacune, de nos Démocraties leurs contraires assises.

.

Avec, sous nos yeux, sa coiffe écarlate ornée

D’une cocarde tricolore… Avec, sous notre nez,

Ses sombres protections et ses armes potentielles,

L’une insoumise, autonome dans ses choix éventuels,

Symbole de Liberté… Et l’autre, accoutrée puissamment,

Entravée dans ses gestes, synonyme d’Ordre évidemment…

.

À les voir toutes deux, statufiées dans leur roide

Contenance, retenir leur souffle, portés par une froide

Détermination, et, à observer comme elles se dévisagent,

Il paraît évident qu’à se toiser, elles se jaugent sans ambages,

Certaines de pressentir qu’elles sont, par-delà tout parti-pris sectaire,

Liées par mille et une manières opposées, mais cependant complémentaires.

*       *       *       *

« Ne vois-tu pas dans le pouvoir que j’incarne, garant des lois

Et de la paix nécessaires à toute société, le cadre à chaque fois

Qui pose au libre-arbitre une légale, juste et intangible limite :

Devoir s’arrêter net là où s’exerce celui d’autrui ! Débile mythe

Si je n’obligeais pas chacun à respecter cette délicate frontière,

Je suis ce bras armé qui empêche la rue d’être une pétaudière. »

.

« C’est vrai que je veux profiter intensément tout le temps, mordre

À belles dents dans l’instant, réjouie de semer pagaille et désordre

À satisfaire toujours mes désirs les plus fous, même s’il faut, tôt ou tard,

Avant que leurs excès ne mènent à l’impasse, qu’un autre les réfrène, à l’instar

De troupes qui stoppent des vandales. Bien que j’aime croire que, toute liberté,

Chacun devrait en user sans devoir la borner, je pressens qu’elle doit l’être. »

*      *      *      *

Ainsi — sans oser se l’avouer, encore moins le proclamer — tels des héros

Guidés par des valeurs, nourris de convictions, loin d’être des « Zorro »

Sortis de nulle part, par la magie de leur muette défiance, immortalisée

Par l’objectif, les voilà toutes deux — fruit du hasard — métamorphosées

En « Marianne », incarnations contraires d’un système à ce jour archaïque !

Symboles d’une faillite, Elles exhortent à inventer un monde moins prosaïque.

.

fichier pdfP 365 – Marianne, l’Ordre et la Liberté

Poème écrit par Philippe Parrot

Entre le 7 et le 11 janvier 2019

Et modifié le 6 septembre 2024.

Ci-dessous, deux autres textes à mettre en perspective avec les « Gilets Jaunes » :

P 17 : Réveille-toi !

P 159 : Un homme en colère

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