La Première Guerre Mondiale voit la technologie bouleverser les manières de combattre. Avec le développement de l’artillerie, des mitrailleuses, des mortiers, des lance-flammes, des gaz, la puissance de feu et de mort est décuplée sans que l’infanterie, avec ses armes légères, ne puisse y faire face.

Les généraux se voient donc dans l’obligation de repenser rapidement leur stratégie de « guerre de mouvement », le déploiement de troupes sur les champs de bataille occasionnant de véritables hécatombes. À la mobilité et à l’exposition sur le terrain qui étaient leur credo jusqu’alors, ils vont opposer le principe de « guerre de position » qui conduisit au creusement des tranchées, avec comme corollaire :  l’enlisement du conflit et la sédentarisation des fantassins.

C’est ainsi qu’entre 1915 et 1918, des milliers de « Poilus » se terrèrent dans ces boyaux étroits, au milieu de la boue, des rats, des poux, des excréments, décimés tout autant par les assauts et les bombardements que par les maladies et les infections tandis qu’à proximité, en plein « no man’s land », enchevêtrés dans les fils barbelés, cadavres et mourants gisaient à terre sans qu’aucun soldat n’ose s’aventurer pour les récupérer tant la tentative s’avérait périlleuse. Dans l’attente qu’un obus venant exploser là, la terre soulevée ne les recouvre à jamais, méconnaissables et oubliés…

Philippe Parrot

407 - A l'assaut

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« Les sentiers de la gloire » – Film de Stanley Kubrick (1957)

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Poème 407 : À l’assaut

.

Durant une aube crépusculaire,

Révélant dans le ciel la noirceur

De forces diaboliques ; marqués

Au sceau d’un Destin mortifère ;

Guerriers, au Front, désespérés,

Rongés par une trouille atavique

Grouillante dans leurs entrailles,

Ils ont pourtant armé leur fusil,

Pourvu d’une courte baïonnette

Sanglante, pointue et aiguisée,

Leurs godillots dans la gadoue,

Stagnant au fond des boyaux…

.

Las de la nuit oppressante où

Divague l’esprit des camarades

Occis, leurs membres dispersés

Dans l’air zébré par la mitraille,

Les plus terrorisés — damnées

Coliques au ventre — en une

Diarrhée, subite et profuse,

Chient dans leur froc… Ô

Pestilentielles odeurs qui

Ne couvrent jamais celles

Des cadavres putrescents,

Accrochés aux fils barbelés !

.

Au son d’un clairon — dans

La plaine, terrain d’enjeux des

Généraux planqués à l’arrière —

Qui sonne des troupes l’hallali,

Ils savent qu’ils mourront…

Et cependant, les voilà qui

Sortent de leur tranchée et

S’élancent dans le « no man’s

Land », poussant, en barbares

Qui arracheraient le garrot des

Haines qui les étranglent, de longs

Cris pour se convaincre qu’ils vaincront.

.

Ceux, d’en face, avec leur casque à pointe

Et leur surnom de « boches », prêts

À en découdre — feu d’enfer —,

Doigt à la gâchette, grenades

En chapelet, à la ceinture !

Mais, contre toute attente,

Alors qu’un corbeau passe, ses

Ailes noires déployées, et pousse

De brefs croassements glaçants,

— Présage de quelque fin — c’est

D’une casemate enterrée à demi

Que se déchaîne l’Apocalypse…

.

Dans les failles du Temps assassin,

Un tireur secondé d’un servant fauche

Les fantassins à découvert. Sa mitrailleuse

Lourde crépite et crache ses pruneaux

Tandis qu’en haut d’une colline des

Pièces d’artillerie entonnent,

En salves interminables,

Un chant assourdissant

Qui perce les tympans.

Canons toujours fumants,

Placés en batteries, camouflées

Savamment derrière un haut remblai !

.

Projectiles fuselés,

Semblables aux pièces

D’argent jetées à la volée,

Dans les premières lueurs du jour

— Glauque matin d’automne —

Ils zèbrent le ciel gris de leur

Ballet incessant et bruyant.

Leur sifflement strident

Précède l’explosion sur

Le champ de bataille,

Lunaire et dévasté, qui

N’est plus que cratères.

.

À courir vers l’ennemi,

Épuisé, hébété, effrayé,

Et condamné, tout comme

Eux, ils savent ne pas trancher

Le nœud gordien du : « Pourquoi

Ce carnage ? ». Abrutis par l’alcool,

Autorisés à boire avant d’y aller —

Au casse-pipe ! — ils s’arrachent

À leur Passé dans un braillement,

Avant qu’on ne leur arrache prompto

Les tripes, pour chasser l’image de

Celle qu’ils s’apprêtent à quitter.

.

Au fond de l’estomac,

Âcre, leur bol stomacal

Qu’ils sentent remonter…

Ah ! Se vider de leurs peurs,

Brutalement, à la façon du sang

Qui s’échappe, en jet, des cous des

Condamnés, sur le billot décapités !

Leur arme au poing, au milieu des

Hurlements de bêtes à l’abattoir,

Des râles de moribonds saignés

Comme des gorets, ils voient,

Devant, l’autre berge du Styx.

*      *      *      *

Adieu, paisible rivière

Traversant leur campagne

Où tant d’odeurs de vaches et

De chevaux, dans les fermes, dans

Les champs, titillaient leurs narines !

Sur tes rives — à leur mémoire rappelées

À l’heure de crever — ils venaient avec une fille

Du bourg, ravis de s’asseoir sur l’herbe, la peau tannée

Par le soleil. Moisson faite, ils n’avaient d’autre envie

Que d’ôter leurs vêtements et de plonger, nus,

Dans tes eaux fraîches et accueillantes,

Lit de leurs ébats à l’abri des regards.

.

Au milieu des roseaux

Qui ployaient sous le vent,

Des canes et des canetons, de

Passage, qui caquetaient, en si

Plaisante compagnie, l’été radieux

Leur souriait et, dans l’insouciance

De leur vingt ans, ils leur contaient

Fleurette tandis qu’ils caressaient

Le haut des seins des ingénues

Qu’un décolleté de chemisier

Qu’ils avaient tous dégrafé,

Soulignait avec grâce…

*      *      *      *

À évoquer ainsi — dans cette

Vision dernière, déchirante et

Soudaine, qu’ont ceux qui vont

Mourir — au cœur de la fureur des

Hommes et de la perdition des mondes,

Leur lointaine province et leurs anciennes

Amours, les voilà qui voudraient échapper

À ce jour, à cette heure, à ce lieu, leur corps

Trop embourbé dans une terre maudite où

Conscrits et officiers volent dans les airs,

Chairs déchiquetées, démembrés, os

Broyés, barbaque sanguinolente.

.

En ces moments fatidiques, orchestrés en haut lieu,

Où, l’ordre reçu, ils s’élancent, apeurés, à l’assaut,

Ce flash ne dure qu’un instant : une fraction de

Seconde. Poussés par l’instinct, ils cherchent

Uniquement à s’en tirer, effarés par cette

Viande, humaine, exposée en vrac, au

Kilo, comme à l’étal des bouchers,

Avant d’en être aussi, à recevoir

Eux-mêmes, en pleine gueule,

Les éclats d’obus de mortiers

Qui lacèrent ; sectionnent ;

Démembrent ; éventrent.

*      *      *      *

À de ne pouvoir savoir

Quel nom ils portaient,

Rendus méconnaissables,

Ces gars qu’elles attendront,

La drôle de guerre finie, jamais

Ne rediront les mots, touchants,

Qu’elles adoraient entendre

Quand, taraudés de désirs,

Ils s’aimaient. Oui, aucune

N’inhumera ces Poilus sans

Visage, dispersés dans l’espace,

En morceaux. Horribles confettis !

 .

fichier pdfP 407 – A l’assaut

Poème écrit par Philippe Parrot

Entre le 4 et le 8 novembre 2019

À l’occasion de la commémoration du lundi 11 novembre 2019

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