Google arts et culture : « Le Facteur Cheval »

Sorti en salle le 16 janvier 2019, le film réalisé par Nils Tavernier, avec, comme acteurs principaux, Jacques Gamblin et Laetitia Casta, évoque l’extraordinaire destin de Joseph-Ferdinand Cheval (1836/1924), humble facteur en milieu rural, qui, en plein 19ème siècle, habité par un rêve singulier, consacra plus de trente ans de sa vie à la construction d’un « Palais Idéal », constamment soutenu par sa seconde épouse, Philomène Richaud (1838/1914), malgré l’existence ingrate qu’il lui imposa et les continuels sarcasmes qu’elle endura tout au long de la réalisation de cette œuvre inclassable, à ce jour seule représentante de « l’Art Naïf » en architecture.

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Bande annonce du film « L’incroyable histoire du Facteur Cheval »

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« Postman Cheval » . Magnifique chanson de Al DeLoner en hommage au Facteur Cheval.

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La dernière interview du Facteur Cheval, inédite en français, parue en 1919 dans la revue britannique « The Wide World Magazine » : « Comment j’ai construit mon Palais de Rêve » – Google Arts & Culture

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Les Nuits de France-Culture – Portrait du Facteur Cheval, présenté le 15 février 1981 et réalisé par René Farabet, Claude et Clovis Prévost.

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1/ SA BIOGRAPHIE : RÊVE, DRAMES ET LABEUR

1836/1857 : Enfance, adolescence et perte de ses parents

Joseph-Ferdinand Cheval, dit le « Facteur Cheval », est né le 19 avril 1836 à Charmes-sur-l’Herbasse, petit village situé entre Hauterives et Romans, dans la Drôme (26), le « Pays des Collines ». Issu d’une famille paysanne pauvre, il obtient son Certificat d’Études Primaires après avoir été brièvement à l’école de 1842 à 1848 (de 6 à 12 ans).

Suite au décès de sa mère, Françoise Rose Sibert, à l’âge de 40 ans (1807/1847), puis de celui de son père, Jean François Cheval, à l’âge de 59 ans (1796/1855), encore mineur à cette époque, sa curatelle est confiée à son oncle maternel, boulanger de son état. En 1856, il laisse l’exploitation de la ferme familiale à son demi-frère, François Victor, son ainé de cinq ans, et part comme apprenti-boulanger à Valence, employé par son oncle qui l’émancipe et l’initie au travail de la pâte, technique qui lui servira pour réaliser ultérieurement son palais.

1857/1877 : Mariage, mort de son premier garçon et de son épouse

Après avoir été exempté de service militaire en 1857, sans doute à cause de sa petite taille, l’année suivante, âgé de 22 ans, il se marie avec Rosalie Revol (1841/1873), lingère, qui a tout juste 17 ans. Quelques temps plus tard, il quitte Hauterives, laissant sa femme toute seule, et trouve un emploi d’ouvrier boulanger à Lyon et à Chasselay. Il revient en 1863. Un an plus tard, sa femme accouche d’un garçon, Victorin, qui décède en 1865 puis, en 1866, d’un second, Cyrille (1866/1912).

Après avoir abandonné son métier de boulanger suite à la mort de son premier fils, il travaille comme ouvrier agricole avant de se présenter au concours des Postes, trop acculé à la misère. Il réussit et devient officiellement facteur, en 1867, à l’âge de 31 ans. Il exerce d’abord à Anneyron, puis à Hauterives (1869) et à Saint-Rambert-d’Albon-sur-Rhone (1876). Suite au décès de son épouse survenu en 1873, à l’âge de 32 ans, il confie son fils, Cyrille, à ses parrain et marraine.

1878 : Affectation définitive à Hauterives et second mariage

C’est en 1878, alors qu’il a 42 ans, qu’il est officiellement et définitivement rattaché au Bureau des Postes d’Hauterives pour effectuer la tournée pédestre de Tersanne, longue de 33 kilomètres. Quelques mois après cette mutation, il rencontre Claire-Philomène Richaud (1838/1914) qu’il épouse en secondes noces, le 28 septembre 1878.

1879 : Naissance de son projet et de sa fille

Facteur Cheval - Sa pierre d'achoppement

La fameuse pierre d’achoppement du Facteur Cheval, installée sur la terrasse, façade ouest

En avril 1879, alors âgé de 43 ans, Joseph-Ferdinand Cheval bute par hasard, lors de sa distribution du courrier, sur un caillou — sa « pierre d’achoppement » comme il la nomme dans ses écrits — à la forme si bizarre qu’elle l’amène à ressusciter un vieux rêve. Construire un « palais féerique » ! Car, si la nature peut produire des formes aussi tarabiscotées et incongrues et ainsi « faire la sculpture », pourquoi lui ne ferait-il pas « la maçonnerie et l’architecture », tout à la fois l’ouvrier et le concepteur ? C’est ce qu’il explique dans les propos rassemblés ci-dessous, tirés de divers écrits.

          « Un jour du mois d’avril en 1879, en faisant ma tournée de facteur rural, à un quart de lieue avant d’arriver à Tersanne, je marchais très vite lorsque mon pied accrocha quelque chose qui m’envoya rouler quelques mètres plus loin, je voulus en connaître la cause. J’avais bâti dans un rêve un palais, un château ou des grottes, je ne peux pas bien vous l’exprimer… Je ne le disais à personne par crainte d’être tourné en ridicule et je me trouvais ridicule moi-même. Voilà qu’au bout de quinze ans, au moment où j’avais à peu près oublié mon rêve, que je n’y pensais le moins du monde, c’est mon pied qui me le fait rappeler. Mon pied avait accroché une pierre qui faillit me faire tomber. J’ai voulu savoir ce que c’était… C’était une pierre de forme si bizarre que je l’ai mise dans ma poche pour l’admirer à mon aise. Le lendemain, je suis repassé au même endroit. J’en ai encore trouvé de plus belles, je les ai rassemblées sur place et j’en suis resté ravi… C’est une pierre molasse travaillée par les eaux et endurcie par la force des temps. Elle devient aussi dure que les cailloux. Elle représente une sculpture aussi bizarre qu’il est impossible à l’homme de l’imiter, elle représente toute espèce d’animaux, toute espèce de caricatures. Je me suis dit : puisque la Nature veut faire la sculpture, moi je ferai la maçonnerie et l’architecture. »

Dès lors, le pari relevé, le chantier est lancé. Il durera 33 ans… La même année, le 11 octobre, naît sa fille, Alice.

Facteur Cheval, Philomène et Alice

Le Facteur Cheval, sa seconde épouse, Claire-Philomène Richaud et leur fille Alice. (vers 1884)

1879/1912 : Construction du « Palais Idéal » et mort d’Alice

Dès lors, il ne cessera jamais plus de ramasser des pierres durant ses tournées de facteur en vue de construire son incroyable édifice : « un palais féerique, dépassant l’imagination, tout ce que le génie d’un humble peut concevoir (avec grottes, tours, jardins, châteaux, musées et sculptures) cherchant à faire renaître toutes les anciennes architectures des temps primitifs », selon ses propres termes.

En 1896, à l’âge de 60 ans, Joseph-Ferdinand Cheval prend sa retraite et construit avec l’aide d’un maçon une maison nommée « Villa Alicius », en hommage à sa fille, Alice. Décédée en 1894 à l’âge de 15 ans, elle n’aura pas la chance de voir l’œuvre de son père achevée. Ferdinand Cheval en est profondément affecté comme l’attestent sur son tombeau ces mots : « Alice, amèrement regrettée »

En 1905, dans la revue « La Vie Illustrée ». paraît le premier article sur le « Palais Idéal » nommé ainsi un an plus tôt, suite à un poème offert par Émile Roux-Parassac (1874/1940) au Facteur Cheval, intitulé : « Ton Idéal, Ton Palais ». D’autres éditoriaux suivront qui, suscitant la curiosité des lecteurs, feront venir les premiers visiteurs. En 1908, le Facteur Cheval embauche d’ailleurs une employée de maison, Julia Achard, née Nicoud, pour assurer les visites.

Au prix d’un labeur incessant, d’une patience infinie et d’une détermination farouche, le Facteur Cheval termine en 1912 ce mausolée monumental. La même année, Cyrille, fils de sa première femme, meurt.

1914/1922 : Construction du tombeau

En 1914, sa seconde épouse, Claire-Philomène Richaud, décède à l’âge de 76 ans. Le Facteur Cheval va alors s’installer chez sa belle-fille, Marie Louise Guironnet (1870/1950), veuve de Cyrille et mère de deux filles, Eugénie et Alice Cheval.

Suite à sa demande, n’ayant pas obtenu l’autorisation d’être enterré dans son « Palais Idéal », le Facteur Cheval obtient en 1914 une concession perpétuelle au cimetière de Hauterives. Reprenant sa brouette, sa « fidèle compagne de peine », il part de nouveau en quête de pierres, durant huit ans, pour bâtir son « Tombeau du Silence et du Repos sans fin », achevé en 1922 et classé au titre des monuments historiques seulement en 2011.

Facteur Cheval - Sa brouette 1

Le Facteur Cheval et sa fameuse brouette

          « Après avoir terminé mon Palais de rêve à l’âge de 77 ans et 33 ans de travail opiniâtre, je me suis trouvé encore assez courageux pour aller faire mon tombeau au cimetière de la paroisse. Là encore, j’ai travaillé huit années d’un dur labeur, j’ai eu le bonheur d’avoir la santé pour achever à l’âge de 86 ans le Tombeau du Silence et du Repos sans fin »

1924 : Décès

Le 19 août 1924, à 9 heures du matin, après avoir reçu les Saints Sacrements, le Facteur Cheval rend son dernier soupir à 88 ans. Il est inhumé dans son tombeau, tout près du portail d’entrée du cimetière de Hauterives, où reposent déjà tous les siens.

Le Facteur Cheval

Photo du Facteur Cheval (1836/1924)

Facteur Cheval - Dessin d'Annie Gomiéro

Dessin réalisé par Annie Gomièro, artiste vivant à Hauterives

et autrice du roman-jeunesse : Alice au Pays du Facteur Cheval

2/ SON ŒUVRE MAÎTRESSE : UN PALAIS

Commencée en 1879, suite à la découverte de sa « pierre d’achoppement », la concrétisation du Rêve qui l’avait hanté pendant des années : bâtir un édifice merveilleux, exigea de sa part 33 ans d’une abnégation sans faille, l’équivalent d’environ 9 000 journées de labeur, soit plus de 65 000 heures passées à la tâche.

Bâtie sur un caveau souterrain destiné à recevoir les membres de sa famille, cette œuvre baroque avec son incroyable enchevêtrement de sculptures, de galeries, de niches, de tourelles, de colonnes, d’escaliers, de temples, de musées, de bêtes et de plantes éblouit d’autant plus par le gigantisme de sa structure et le foisonnement de son ornementation qu’elle est le fruit exclusif du « travail d’un seul homme », l’érigeant pierre par pierre, caillou après caillou.

Long de 23 mètres, large de 12 mètres et haut de 11 mètres, le « Palais Idéal » est constitué de plus de 600 m3 de rocaille, des pierres trouvées lors de ses tournées, ramenées dans sa sacoche ou entassées en un même endroit pour revenir les chercher le soir, après sa distribution, avec sa brouette et les stocker dans son jardin. Puis, à la lueur de bougies ou de lampes à pétrole, jusqu’à tard dans la nuit — quitte à passer pour un « pauvre fou » — toutes transportées sur le chantier et assemblées avec de la chaux, du mortier et du ciment !

Soucieux d’émerveiller sa fille, le Facteur Cheval souhaite que son Palais soit un hymne à la Nature, à la Vie, à la Sagesse et au Génie Humain. En conséquence, il mélange délibérément styles architecturaux et paysages exotiques, tous différents et lointains, puisés dans la lecture des gazettes illustrées qu’il distribue, comme le « Magasin Pittoresque » et « La Revue Illustrée », ou découverts grâce aux cartes postales apparues à partir de 1873.

La façade Est

Facteur Cheval - Façade est

Organisée autour d’une végétation luxuriante qui cache des grottes, des sources, des cascades et des niches, elle est encadrée, à sa droite comme à sa gauche, par des répliques de monuments imposants.

De 1879 à 1884, il creuse un bassin où se jette une cascade qu’il appelle « La Source de la Vie », puis, progressant vers le nord tout en s’élevant, il en construit une seconde nommée : « La Source de la Sagesse ».

De 1884 à 1891, dans le prolongement de cette dernière, il bâtit une sorte de temple, dit « le Monument Égyptien » qui deviendra par la suite « le Temple de la Nature », flanqué de quatre colonnes, massives et joufflues.

Enfin, de 1891 à 1899, par souci de symétrie, il édifie sur la gauche des sources, le « Temple Hindou » avec sa faune et sa flore exotique, gardé par trois impressionnants et longilignes géants, représentant César, Vercingétorix et Archimède avec, au-dessus de leur tête, « La Tour de Barbarie ».

La façade Ouest

Facteur Cheval - Façade ouest Palais Idéal 2

Évoquant moins la nature avec sa luxuriance, elle s’impose au regard par sa rigueur, soulignée par quatre colonnes majestueuses, élégantes et dépouillées, qui encadrent des renfoncements dans lesquels sont enchâssés des monuments du monde entier : mosquée, temple hindou, chalet suisse, Maison Carrée d’Alger, château du Moyen-Age. C’est de ce côté que se trouve l’entrée d’une longue galerie, à l’intérieur du Palais, qui se termine par un labyrinthe à chacune de ses extrémités où sont sculptés les représentants d’une faune bigarrée : ours, éléphants, autruches, flamands, oies, aigles. Juste au-dessus, délimitée par une rambarde en pierre, il y a une terrasse qui fait toute la longueur de l’édifice et à laquelle on accède par un escalier, situé à gauche de la façade.

La façade Nord

Facteur Cheval - Façade Nord Palais Idéal

C’est de ce côté que se trouve le « Temple de la Nature », monté avec des pierres de rivière. Le soubassement est composé de grottes surmontées de quatre colonnes massives. On y voit toute sorte d’animaux : cerf, biche, faon, pélicans, crocodile. Sur la gauche, il y a un petit château féodal.

La façade Sud

Facteur Cheval - Façade Sud Palais Idéal

Cette façade évoque les Temps Anciens au travers d’un « Musée Antédiluvien ». Grâce à un escalier et à un balcon, elle permet l’accès à la terrasse.

1969/ Tardive reconnaissance nationale

C’est seulement le 2 septembre 1969 qu’André Malraux (1901/1976) fait classer le « Palais Idéal » au titre des monuments historiques, malgré l’avis défavorable des fonctionnaires du Ministère de la Culture qui écrivent à l’époque : « Le tout est absolument hideux. Affligeant ramassis d’insanités qui se brouillaient dans une cervelle de rustre ». L’homme politique, grand aventurier et écrivain, leur rétorque alors qu’« en un temps où l’Art Naïf est devenu une réalité considérable, il serait enfantin de ne pas classer quand c’est nous, Français, qui avons la chance de posséder la seule architecture naïve du monde et attendre qu’elle se détruise… ».

En 1994,  la gestion du « Palais Idéal » et du Tombeau est entièrement confiée à la municipalité de Hauterives. Aujourd’hui qu’elle en est seule propriétaire, c’est plus de 150 000 visiteurs qui viennent chaque année les découvrir.

3/ L’HOMME : UN SOLITAIRE HABITÉ

Un cadre historique

Pour comprendre l’extraordinaire destin du Facteur Cheval, il faut replacer l’homme dans le contexte social qui est la sien et qui façonne fortement son imaginaire. En effet, au milieu du XIXème siècle, quoique Hauterives soit encore très isolé, le bourg où vit le Facteur Cheval commence à s’ouvrir sur l’extérieur. C’est en effet l’époque où, traversée par d’importants bouleversements politique, économique, technique et culturel : fin du Second Empire ; instauration de la Troisième République ; essor de la Révolution Industrielle ; progrès des Sciences ; développement du Chemin de Fer ; colonisation de l’Afrique et de l’Asie, la France se modernise et, en découvrant de lointaines civilisations, élargit du même coup l’horizon de ses habitants. Désormais, la ville et sa culture cosmopolite s’invitent à la campagne avec la multiplication des moyens de transport et des voies de communication. Cette ouverture de la France sur d’autres continents, cette fascination du modèle urbain sur le modèle rural se manifestent notamment à travers l’organisation des premières Expositions Universelles (1855, 1867, 1878, 1889 et 1900) d’un grand retentissement dans tout le pays.

Mais, dans le prolongement de ces changements de la société française, s’ajoutent des innovations qui, en permettant de faire connaître les actualités du moment, ont de profondes répercussions sur la vie du Facteur Cheval : l’apparition de la photographie (avec des clichés de son « Palais Idéal » dès 1905) ; la diffusion des premières cartes postales donnant l’occasion de « voir » sans y être des monuments ou des paysages exotiques ; enfin, le développement de la presse, avec l’apparition de journaux comme « le Magasin Pittoresque » ou « la Revue Illustrée » qui racontent et illustrent ces modes de vie différents, ouvrant les provinces françaises sur les endroits les plus reculés de la planète.

Ce foisonnement et cette richesse d’informations nourrissent l’esprit du Facteur Cheval, alimentent son délirant imaginaire, surtout donnent du grain à moudre à sa « folie bâtisseuse ». Ainsi découvre-t-il les jardins des demeures bourgeoises, avec leur kyrielle de statues, de grottes, de cascades, de pagodes, de temples de pyramides, calqués sur l’architecture des pays colonisés et, plus loufoques encore, les projets de certains architectes, comme celui de la Fontaine de l’Éléphant de Jean-Antoine Alavoine pour la Place de la Bastille. De toutes ces extravagances, le Facteur Cheval s’en imprègne grâce aux cartes postales ou aux photos et articles qu’il regarde et lit dans les gazettes avant de les distribuer.

Projet de l'Eléphant à Bastille

Projet de la Fontaine de l’Éléphant, Place de la Bastille à Paris, par Jean-Antoine Alavoine

Un cadre géographique

Indépendamment de ce vent de l’Histoire, le Facteur Cheval est aussi marqué par la grandeur et la beauté des paysages qui l’entourent durant ses marches. En effet, la tournée de Tersanne se situe dans cette partie de la Drôme, dénommée le « Pays des Collines », coincée entre les pentes douces, arrondies et boisées des Monts du Vercors et les vallées du Rhône et de l’Isère, avec leurs terroirs dégradés de verts. La magnificence des lieux où, d’un seul regard, le promeneur embrasse vallées collines et plaines, nourrit indubitablement ses songes, contribuant à stimuler cette construction fantasmagorique élaborée par son imagination : le « Palais Idéal ». Les 33 kilomètres de sa tournée quotidienne, accomplis dans un cadre aussi majestueux, mettent ce solitaire dans un état second, quasi hypnotique, comparable à une sorte de transe propre à libérer et à exacerber ses visions d’édifice.

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 Découverte, à travers une chanson, des paysages de la Drôme

Une singulière personnalité

Dans le contexte d’une époque où l’académisme règne dans les arts malgré la révolution picturale provoquée par l’Impressionnisme, le Facteur Cheval ne peut passer que pour un « pauvre fou qui remplit son jardin de pierres ». Un drôle d’hurluberlu submergé par une délirante créativité qui mélange, au milieu de monuments venus du monde entier, faune et flore exotiques, personnages bibliques et dieux antiques… Cependant, si cet « esprit dérangé » doit son inspiration aux bouleversements sociétaux qui traversent la France comme aux splendides paysages qu’il contemple durant sa tournée, aussi capitales et nourricières soient-elles, ces influences extérieures ne rendent pas totalement compte de l’homme qu’est le Facteur Cheval. Une question demeure : indépendamment des savoirs acquis et des transes vécues, où trouve-t-il les ressources physique et mentale nécessaires à une telle entreprise ?

Pour réussir à construire, seul, deux édifices aussi démesurés, il faut plus qu’une accumulation de connaissances et qu’un emballement de la sensibilité. Il faut d’abord et surtout une incroyable force d’âme. Cette énergie hors du commun, le Facteur Cheval la puise dans une foi inextinguible en son génie. Habité par un projet qui le transcende, il donne un sens tellement « surhumain » à son existence qu’il en accepte les contraintes : de perpétuels sacrifices, de constants efforts, d’épuisantes tâches ! Heureusement aussi les bénéfices : la joie du travail accompli, la fierté du talent dévoilé, la plénitude d’une vie bien ordonnée ! Voilà pourquoi il parcourt chaque jour 33 kilomètres, reprend chaque soir le même chemin pour ramener des pierres et travaille jusqu’à tard dans la nuit pour ne dormir que 4 à 5 heures…

Mais, indépendamment de cette irrépressible envie de bâtir, le Facteur Cheval sait exploiter d’autres qualités, apanage des êtres passionnés : la détermination et la constance, la volonté et le courage, conscient que la réalisation de son rêve l’oblige à s’échiner à la tâche et à faire preuve de patience.

À l’image du mystique qui se détache de la réalité pour faire allégeance au divin, le Facteur Cheval subordonne sa famille, sa personne et sa santé à une « chose » qui le dépasse, apparaissant aujourd’hui encore comme un illuminé dont personne ne voudrait suivre la voie, trop longue et trop âpre. Si l’on admire le « Palais Idéal », nul n’est prêt à marcher sur les pas d’un créateur aussi « déjanté », tant il est différent de nous autres, insatiables consommateurs qui, immergés dans l’instant et obsédés par l’exigence de satisfactions immédiates, ne tolèrent plus de devoir se sacrifier et attendre. Ce qu’à l’inverse le Facteur Cheval sut faire avec panache !

Grand taiseux incapable d’exprimer ses sentiments les plus profonds comme d’alimenter la vacuité des conversations courantes, la destinée du Facteur Cheval fut d’affronter et de surmonter des peines : morts de sa mère à 40 ans, de son père à 55 ans, de son premier fils à 1 an, de sa première épouse à 32 ans, de sa fille à 15 ans, de son second fils à 46 ans, enfin, de sa seconde épouse à 76 ans… sans jamais être suffisamment abattu pour renoncer à son rêve : construire de ses propres mains Palais et Tombeau.

Il y parviendra après 41 ans de travail acharné, mû par l’insondable volonté de toujours se dépasser.

Philippe Parrot (février 2019)

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