A/ BIOGRAPHIE DU PEINTRE KHALY N’DIAYE
1/ L’enfance, au cœur des traditions ancestrales de l’Afrique.
Khaly N’DIAYE est né le 22 Février 1950 à Rufisque, à proximité de Dakar, au Sénégal. Issu d’une famille d’artisans et d’artistes : bijoutiers, forgerons, tisserands, musiciens qui jouissaient localement d’une grande notoriété, ces hommes à la personnalité marquante, en dignes représentants de la culture africaine, vont très tôt s’attacher à développer sa fibre artistique. Notamment son père, grand musicien et peintre renommé, qui deviendra son mentor dans ces deux domaines où il s’investira sans compter. Durant toute sa jeunesse, Khaly N’DIAYE baigna donc au sein d’une créativité permanente, toute imprégnée des valeurs propres aux peuples du continent noir.
2/ Début des années 70 : Place à la musique !
Après des études à l’École Française, il choisit de se consacrer à la musique. Il entre dans une formation musicale à Rufisque : « Las Ondas Del Sabadas ». Rapidement, il va constituer son propre groupe de Pop music et organiser des tournées, à l’époque où Jimi Hendrix, les Beatles, les Rolling Stones occupent le devant de la scène internationale. Dans les années 70/72, il est un des fondateurs du groupe « Le Rail Band de Bamako » que rejoindra notamment Mory Kanté. À l’occasion de nombreuses tournées en Afrique de l’Ouest avec cette formation, il croisera ses compatriotes sénégalais : Pape Seck, King Meissa, Sada Ly et Laba Sosseh avant de les retrouver, quelques années plus tard, dans l’orchestre « Star-Band de Dakar », très marqué par les rythmes cubains.
Musique composée par Khaly N’DIAYE
3/ Fin des années 70 : Initiation à la peinture et à l’art du Batik
En 1975, il amorce un virage dans sa vie. Désireux de se tourner vers la peinture, il suit les cours de l’École des Arts de Dakar dans la « section Recherches », animé par la volonté de s’affranchir de tout académisme pour libérer sa propre créativité. Fort de cette expérience et fasciné par l’art du Batik, il décide de partir en Gambie pour se former à cette technique d’impression sur tissu, si originale, auprès de Queen AMY. Il y restera deux ans, de 1977 à 1979. De retour au Sénégal, il crée en 1980 son premier atelier de teinturerie dans sa ville natale, à Rufisque, sans pour autant cesser de se consacrer à la peinture.
Deux créations au Batik de Khaly N’DIAYE
4/ Début des années 80 : Le temps de la solitude et de la création.
En 1981, il décide de se retirer pour trouver dans la solitude un cadre propice au développement de son inspiration picturale. C’est à cette époque qu’une première grande exposition lui est consacrée dans les salles du Grand-Hôtel TERANGA à Dakar. Dans les années 1981/1990, après avoir ouvert un nouvel Atelier-boutique en plein centre de Rufisque, il continuera de mener de front et son travail de peintre et son travail de teinturier, veillant parallèlement à transmettre aux jeunes générations les techniques du Batik.
B/ ORIGINALITÉ DE L’ŒUVRE DE KHALY N’DIAYE.
1/ L’héritier de Léopold Sédar Senghor
Bien que le parcours de Khaly N’Diaye atteste que cet artiste est d’abord un autodidacte, fier d’affirmer son indépendance à l’égard de tout académisme comme de tout courant, il n’en demeure pas moins que son œuvre s’inscrit dans la continuité d’un héritage : la culture du Continent Noir. Comme Léopold Sédar Senghor (1906/2001) ou Aimé Césaire (1913/2008) qui revendiquèrent dans les années 50 la singularité des peuples noirs, Khaly N’Diaye porte, lui aussi, très haut l’étendard de cette exigence.
En effet, quand Léopold Sédar Senghor affirme que « la Négritude est un fait, une culture. C’est l’ensemble des valeurs économiques, politiques, intellectuelles, morales, artistiques et sociales des peuples d’Afrique et des minorités noires d’Amérique, d’Asie, d’Europe et d’Océanie. » ou quand Aimé Césaire déclare que « ce mot désigne en premier lieu le rejet. Le rejet de l’assimilation culturelle ; le rejet d’une certaine image du Noir paisible, incapable de construire une civilisation. », Khaly N’Diaye, dans la solitude, loin de toute polémique et de tout prosélytisme, reprend à son compte — mais de façon joyeuse et colorée — non seulement cette volonté d’une créativité puisant ses forces uniquement dans le continent africain mais aussi ce refus de soumettre son inspiration aux critères esthétiques de l’Occident.
2/ Le chantre de la tradition
En effet, quelle que soit la technique utilisée : la couleur ou le noir et blanc, l’huile ou l’acrylique, un même fil conducteur traverse tous les tableaux de Khaly N’Diaye. Ce fil d’Ariane, c’est la fascination de ce peintre pour le mode de vie traditionnel lié au village, autour du baobab au pied duquel les notables palabrent, aux alentours duquel chacun vaque à ses occupations, porté par l’éblouissante lumière du soleil, fasciné par les pouvoirs du sorcier, grisé par les danses qui rythment les jours, habité par la magie des rituels qui libèrent l’émotion et marient la conscience des hommes avec les esprits de la Nature, dans un enchantement perpétuel.
Oui ! L’originalité de l’œuvre de Khaly N’Diaye réside bien là : dans cet enracinement au cœur de la civilisation africaine, hanté qu’il est par le désir d’en décrypter les codes, d’en immortaliser les valeurs, d’en dépeindre les mœurs ! Par là même, en s’inspirant des peuples noirs qui, avant lui, s’interrogèrent à travers leurs Arts sur ce qu’est la condition humaine, il nous éblouit par sa manière toute picturale de poser, à son tour, cette question fondamentale.
3/ Le laudateur du masque
Dans la société africaine, rien n’est plus représentatif des traditions ancestrales que le masque, notamment à travers l’art du masque Kanaga. Venu du Pays Dogon, ce dernier est le plus souvent composé par une superstructure en forme de double croix dont les traverses portent des petites planches dirigées vers le haut ou vers le bas qui symbolisent le crocodile avec ses pattes mais aussi d’autres figures animales ou humaines. Le masque Kanaga est lié aux cultes des Morts qui permettent de s’emparer de la force vitale du défunt. Durant ces cérémonies, le masque devient l’attribut du danseur qui, en lui donnant mouvement et parole, l’investit d’un pouvoir sacré : celui de révéler le créateur, la partie supérieure représentant le ciel à travers ses bras, la partie inférieure la terre à travers ses jambes et la chorégraphie du danseur les vibrations de la matière originelle.
Présentation de masques Kanaga
Khaly N’Diaye est si fortement imprégné de cet Art Premier que l’essentiel de son œuvre s’est construit autour de sa représentation. En explorant cet attribut sous de nombreuses variantes, toujours éclatantes et rigoureuses, il a trouvé là l’occasion d’exprimer les multiples facettes de son génie créatif.
Créations de Khaly N’Diaye
4/ Le chercheur du sens des signes
Si le masque fascine tant Khaly N’Diaye, c’est qu’il est porteur — par ses formes anthropomorphes ou zoomorphes, comme par les ajouts qui le décorent — de signes qui jouent un rôle capital en Afrique. Outils de communication privilégiés des hommes entre eux, mais aussi des hommes avec la Nature et les Morts, les symboles permettent, par leur omniprésence, de partager au sein des communautés noires les mêmes émotions, les mêmes visions et de fusionner avec l’univers dans l’harmonie et l’équilibre.
Or, comme Khaly N’Diaye le souligne lui-même, dans la société traditionnelle africaine, le masque Kanaga est incontestablement l’objet le plus chargé de symboles : « Le Ka pose la question de la condition humaine, interrogation fondamentale qui est à la base de toute philosophie, toute religion et toute science. Ce signe est entré dans l’histoire africaine avec les Dogon sous le nom de Kanaga. Ka, sur les hiéroglyphes égyptiens, c’est l’âme sacrée de l’homme ; Na dans la langue mandingue signifie « est venu », « venu de », « viens » comme invitation ; enfin, Gua signifie la place, en pulaar. Ces trois mots Ka, Na, Gua, rassemblés en un seul : Kanaga, réunissent les trois langues les plus parlées en Afrique occidentale. Ce signe est donc la synthèse culturelle de la grande richesse du continent noir. Saisir la signification profonde de ce mot, c’est appréhender la complexité de la logique de l’africain depuis le commencement de l’histoire humaine. ». Conscient de cette spécificité de sa culture, Khaly N’Diaye trouve son inspiration dans cet attribut, primordial dans le passé mais aussi de nos jours, dans la vie quotidienne, les fêtes ou les cérémonies. En explorant cette caractéristique essentielle de l’âme noire, Khaly N’Diaye renoue avec une tradition qui lui permet de mieux cerner et sa propre identité et l’identité africaine.
En renvoyant à une image ou à des idées, le symbole est porteur d’une cosmogonie qui donne une explication logique et globale du monde. Cette vision assure concomitamment la cohésion du groupe, induit ses modes de vie et nourrit l’imaginaire de chacun de ses membres. Elle se présente donc comme un savoir cohérent — fondé sur l’oralité, l’expérience et l’animisme dans la société africaine traditionnelle — dans lequel les hommes puisent les règles qui guident leurs actions au quotidien. Tenter de les décrypter comme s’y attache Khaly N’Diaye, c’est chercher à découvrir les particularités de l’homme noir qui se cachent derrière cette conception du monde. Ainsi, la quête artistique de Khaly N’Diaye pourrait presque se synthétiser en une boutade : « Parle-moi de tes signes, je te dirai qui tu es ! ».
5/ Un visionnaire des contradictions de l’homme contemporain
Très présent dans les tableaux du Khaly N’Diaye, l’œil parle manifestement à ce peintre. Qu’il s’agisse de l’enserrer dans un réseau de traits épais et noirs qui esquissent un visage et l’emprisonnent dans un maillage oppressant ; ou qu’il s’agisse, dans un enchevêtrement de couleurs et de formes géométriques, de dévoiler à travers sa fixité la détermination de l’homme, Khaly N’Diaye sait à chaque fois montrer, dans l’effarement du regard comme dans sa dureté, l’ambiguïté de l’âme humaine — toute civilisation confondue — animée par le Bien mais servant le Mal, disposée à sauver tout autant qu’à tuer, au gré des circonstances et des émotions qui la façonnent….
6/ De la quête de l’identité africaine à l’universel et à la modernité
Dès lors, l’œuvre de Khaly N’Diaye s’ouvre à la modernité et à l’universel, la perspicacité de son jugement l’amenant à sortir du cadre étroit d’un continent. En effet, cette ambivalence dans la nature humaine, dévoilée avec force dans ses peintures, nous interpelle. À l’heure où un capitalisme triomphant impose au monde entier son marché, ses lois et son mode de vie ; à l’heure où les peuples perdent en conséquence leur spécificité, une telle démarche artistique qui va à contre-courant de la « pensée unique » nous invite, nous autres occidentaux, à nous interroger à notre tour sur notre « grandeur » et sur nos turpitudes, sur nos valeurs, du passé comme du présent, sur leur légitimité et sur leur pertinence.
L’originalité du talent de Khaly N’Diaye résulte donc de ce parti pris, de cette volonté clairement affichée de s’ancrer dans la tradition. En privilégiant les coutumes de son pays, Khaly N’Diaye parvient pourtant à nous toucher, nous si différents de lui et de son « monde ». Ses intuitions exprimées dans son art comblent notre attente en matière d’esthétisme : lignes épurées, couleurs vives, formes géométriques, rigueur de la composition, mais aussi notre attente en matière de questionnements, dans une Europe en crise, inféodée à une raison qui a supplanté le sacré et livré les hommes à eux-mêmes, sans direction et sans croyances.
À l’homme occidental d’aujourd’hui, trop privé de flamboyance et d’espérances, Khaly N’Diaye ouvre une perspective, indique un autre chemin. Il nous invite à chercher, à notre tour, du sens à nos vies, dans l’engagement, dans l’émotion, dans les partages, dans une transmutation du présent qui restaurerait, sous des formes nouvelles, le spirituel et le sacré dans nos sociétés trop matérialistes.
Article rédigé par Philippe Parrot, commencé le 15 juin 2013 et terminé le 22 juin 2013
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Expositions consacrées à ce peintre
• 1972 : Exposition Collective des Artistes Sénégalais au Musée dynamique de Dakar
• 1981 : Exposition de tableaux à l’USAID à Dakar
• 1981 : Exposition à la Direction de SOCODIM, ARC + à Rufisque
• 1981 : Exposition à l’Hôtel TERANGA à Dakar
• 2001 : Exposition au Centre Commercial de TOUBA SANDAGUA
• 2002 : Exposition à la Biennale des Arts (Section Rufisquoise)
• 2003 : Expositions à Saly-Portudal, sur la Petite-Côte
• 2004 : Exposition dans la ville de Der Lier (Hollande) 2ème Prix des Artistes
• 2005 : Exposition à Saly dans sa propre Galerie
• 2006 : Exposition au Centre Artistique de la Ville de Der Lier (Hollande)
• 2007/2008 : Fresque et décors divers à l’Hôtel des Cocotiers à Saly – Sénégal
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