EXTRAIT DE S COM HOM – BLANCS, BLEUS ET OCRES

 « Elle a ouvert les yeux avant l’heure de l’aube, étonnée de se perdre dans la douce pénombre de la nuit sans étoiles qui vacillerait bientôt sous les vifs rayons d’un soleil trop ardent. Elle a ouvert les bras sans l’homme à ses côtés, stu­péfaite d’enlacer dans de vaines étreintes des brassées de poussière qui flottaient dans la chambre, éclairées par à-coups d’un laiteux rai de lune. Elle a ouvert son cœur après l’émoi des corps, enivrée d’entrevoir dans ses battements fougueux le signe manifeste du regain d’un désir évocateur d’amour. Elle a ouvert son âme, émue de décou­vrir qu’il la hantait encore. Mais l’heure était venue que la raison l’em­porte, routinières pensées qui brisent les élans, fragiles et enthousiastes, de la vie qui s’écoule dans la du­rée trop courte d’un temps insaisissable…

Il a choisi l’endroit lumineux et sacré, sur le chemin de ronde en haut du minaret, d’où glorifier la foi et porter le message qui incite les hommes à regarder la Mecque. Il a posé par terre son tapis de prières, retiré ses ba­bouches et serré son keffieh, puis s’est agenouillé tout près du para­pet. Son es­prit impassible s’est gardé de penser lorsqu’il s’est tout à coup humblement prosterné. Il a, dans un chant rauque, entonné son appel, nasillard et per­çant, le­quel est parvenu à réveiller la ville qui s’est trouvée char­mée par la plainte lointaine. Il s’est laissé por­ter par les versets ma­giques du Texte Fondateur, à force de cadencer son cœur et sa pensée au rythme incantatoire du corps ba­lancé. Étrange litanie qui scandait à l’oreille un chant divi­natoire surgi de nulle part, des lambeaux in­certains d’un matin sans pareil, avant que n’ap­paraissent les premières échap­pées des lumières du jour…

L’air était léger, à peine chargé d’odeurs, de sueur, de jasmin, parfaitement respirable dans la fraîcheur ambiante qui s’estomperait bientôt. Avant que la chaleur, écra­sante et fatale, ne conquiert le terrain, elle profitait encore des langueurs matinales, minutes qui s’égrènent dans un temps sans avenir, enchantée d’étirer ses membres engour­dis, de s’ébrouer en paix dans la pièce ombra­gée, de ciller ses grands yeux avant de les frotter, oublieuse un instant des paroles qui s’élèvent et du jour qui se lève du haut de la mosquée mais aussi dans le ciel, le corps re­posé par ses ébats d’amante et son sommeil d’enfant, proté­gée par la nuit.

Sa mémoire ravivait des pans de la soirée, inou­bliables moments d’une nuit à s’aimer, la seule qu’ils aient osée ! Elle se souvenait de l’avoir obser­vé lorsqu’il s’était lové, confiant et apaisé, épuisé de l’étreindre et de la possé­der. Ses jambes très mus­clées reposaient sous la soie tan­dis que ses deux bras, scarifiés et cuivrés, tachaient d’un éclat sombre la blancheur des draps. Ses membres étaient vain­cus, inertes et détendus, par leurs errances des jours et leur ardeur d’une nuit. Leur corps et leur esprit s’étaient perdus en route, dissous dans les moiteurs du sexe et des Tro­piques, trop heureux d’abdiquer la moindre vel­léité d’ac­tions ou de pensées. Et l’anéantissement du monde s’avé­rait légi­time sous ces contrées arides, brûlées par la four­naise qui gagne les quartiers de la ville sacrée.

Rien ne résistait au flamboyant soleil qui transforme les êtres en des ombres discrètes et mé­tamorphose la vie en un jeu de lumières. Rien ne comptait, au bord du grand dé­sert, que l’azur écla­tant qui assèche les puits et accable les hommes, terrés dans les maisons de la vaste oasis. Des flam­boiements si crus que le ciel trop bleu, à l’horizon sans fin, impose sa frontière au faîte des bâtisses. Éblouis­sante lumière, elle fatigue les yeux du voya­geur perdu qui erre dans les rues, en quête des fraî­cheurs d’un gîte hospi­talier, le regard détourné vers des cieux plus clé­ments beaucoup moins colo­rés : la clarté de son monde, dans son for intérieur ! Au beau milieu des sables, il n’y a d’autre choix qu’entre lumières ou ombres; au beau milieu des corps, il n’y a d’autre voie qu’entre vivre ou mou­rir. A l’heure où les étoiles, en ordre dispersé, jetaient leurs der­niers feux avant l’assaut du jour, le chant du muezzin an­nonçait le matin.

C’était l’heure qu’elle émerge avant de s’en aller…

Entre ces mondes distincts : le désert qui s’éveille et les hommes qui se lèvent, se glissait, confondante, la voix du religieux. Intercesseur sacré dont la parole guide, il profite de l’aube pour divulguer aux hommes la vérité cachée et que lui seul connaît. Les mots changés en notes s’élevaient dans les airs, plaidoyer enchanteur habillé de mu­sique, lancinante et sensuelle, qui parle à l’esprit et touche chaque cœur. Mélopée monotone, au rythme syncopé, elle em­brase les âmes et rassemble le peuple autour de Maho­met, Prophète reconnu qui sait parler d’Allah, deux syllabes en­voûtantes qui frappent les mémoires.

Le soleil ne tarde jamais, diligent voyageur, à enga­ger sa course qui mène au zénith, trajectoire immuable qui, dans le ciel en flammes, brise les ardeurs et vainc tous les courages. Il pointe allégre­ment sur la ligne d’horizon un arc scintillant qui gratifie l’Orient de ses premières lueurs. Bien avant que le vent n’apporte à son tour, dans les nuages de sable qu’entraînent ses rafales, les touf­feurs du dé­sert qui, associées à l’astre, obligent à obéir aux maîtres de la Terre, plus encore souverains que le maître des Cieux dont parle le Coran !

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Enivrante nuit ! Elle se souvenait, somnolente et docile, d’être enlacée à l’homme qui l’étreignait souvent plaqué contre son dos, la main sur son sein empoigné forte­ment comme accrochée à lui, l’autre dans ses cheveux te­nus fer­mement comme agrip­pée à eux. Elle était prison­nière d’une posture servile qui l’attachait à l’homme plus sûre­ment qu’un lien, mais elle aimait pourtant cette prise bru­tale, à même de comprendre que l’homme qui l’entravait sans qu’elle veuille s’enfuir, était esclave lui-même de leurs amours fougueux, asservi à ses charmes plus sûre­ment qu’elle aux siens.

Mais il était parti, au frémissement de l’aube…

Sa raison répétait, à cette heure matinale, les sens as­soupis et les désirs comblés, qu’il était in­congru d’espérer autre chose d’un coup de foudre étrange et qu’elle prendrait l’avion sans ressentir sur elle le regard sans pareil de l’homme sans patrie.

Elle restait allongée, chavirée par l’effluve d’un bouquet de jasmin sur la table de nuit. Pourquoi l’antre secret, impersonnel et nu, res­suscitait-il soudain des souvenirs passés, détails inoubliables des mo­ments enchanteurs d’un voyage d’été ? La voilà qui er­rait, quelques années plus tôt, dans le jardin somptueux d’une ville d’Orient, ravie de respirer des parfums qui soû­laient et d’of­frir à ses yeux des formes colorées, innom­brables et variées, qui toutes subjuguaient. Les cymes de jasmin, odorantes et groupées, dans les allées du parc l’avaient tant exaltée qu’elle avait dé­cidé, au hasard d’un chemin, d’assumer le destin, austère et difficile, des êtres qui s’éloignent d’une voie trop facile et prennent tous les risques. Les pas qu’elle faisait dans ce coin enchan­teur la rappro­chaient d’elle-même et son âme enthou­siaste criait sa déli­vrance, de se voir en miroir, révélée brus­quement…

Sentir une fois encore la fragrance du jasmin, prégnante et capiteuse, ravivait dans son cœur le lumineux souve­nir de ce jour fulgurant, réminis­cence brutale d’une révéla­tion subite. L’espace d’une seconde, elle crut quitter la chambre et mar­cher dans ce lieu, en quête du vieux ser­ment qu’elle n’avait oublié.»

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1/ Blancs, bleus et ocres

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