EXTRAIT DE S COM HOM – LES TRIBULATIONS DE PAUL

« Paul se laissait porter par le flux des voyageurs qui drai­nait chaque soir son lot de banlieusards, obnubilé par le projet qu’il peaufinait depuis quelques jours. L’audace de son plan le stupéfiait, mais il savourait l’indécence qu’il y avait à le formuler, convaincu, au rappel de la décision qu’il avait prise, qu’il jouait là son va-tout.

Il suivait un couloir où des relents de frites se mêlaient à l’âcreté des odeurs d’urine ventilées par les courants d’air. Encore quelques mètres et il allait devoir, comme tous les jours depuis sept ans, extirper sa main droite de la poche, présenter son billet et franchir le tourniquet avant de retrouver, en haut des escaliers, l’esplanade encadrée par les barres de la cité. Sept ans et toujours la même an­goisse ! Cette main droite déchiquetée par une grenade en plein djébel, avec un pouce miraculeusement sauvé, il de­vait s’en servir quotidiennement et l’exhiber à toute heure. Au bureau, devant les collègues qui détournaient les yeux ; en visite, auprès des amis qui frissonnaient à son contact ; à l’improviste, devant l’agent qui vérifiait les titres de transport…

Il délaissa un instant ses pensées pour observer les vi­sages des voyageurs, sans songer une seconde que nul ne pouvait, dans la cohue, prêter attention à son infirmité. Il s’enhardit lorsqu’il constata qu’aucun regard n’était tourné vers lui. Il dégagea son avant-bras, passa le contrôle puis enfonça de nouveau sa paume dans son veston, soulagé de se fondre dans l’anonymat sécurisant de la normalité.

— Aujourd’hui encore, ils n’y ont vu que du feu !

Ses réflexions reprenaient leur cours fiévreux, axé sur sa préoccupation du moment. Il était parvenu à la sortie et gravissait les marches, en fixant chacune d’elles au fur et à mesure qu’elle se présentait. Il notait les renforts métal­liques aussi lisses et brillants qu’un rail, les mille et une paillettes de mica incrustées dans la foulée, mais guettait surtout — habitué à le voir surgir en plans successifs au rythme de la montée — deux pieds enfouis dans des ba­bouches, puis une vieille djellaba effilochée, enfin, le vi­sage de Moh’arki coiffé de son éternelle chéchia. Il aimait retarder le retour dans son trois-pièces et discuter quelques minutes avec le mendiant, un ancien harki relégué au rang de paria.

Paul s’était toujours apitoyé sur cette existence qui s’achevait au fond d’une cave — tandis que sa famille vi­vait dans un appartement de la cité —, touché par cet homme qui supportait sa relégation depuis des années sans jamais se rebeller. Mais il n’éprouvait plus à cette heure de pitié pour le vieil Arabe banni par sa communauté d’ori­gine et sa patrie d’adoption. Il ressentait au contraire du mépris pour tous les Moh’arki du monde, victimes de leur destin. »

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Pour lire dans son intégralité cette nouvelle, illustrée par Sandra Savajano, veuillez cliquer sur le lien suivant : « Les tribulations de Paul ». Bonne lecture à vous !

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